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des armées lui prêtaient serment en ces termes : a Je jure par le Dieu tout-puissant, son Fils unique notre seigneur Jésus-Christ, et le Saint-Esprit, par la glorieuse Marie toujours vierge, par les quatre Évangiles que je tiens en mes mains, et par les saints archanges Michel et Gabriel, d’être fidèle à nos maîtres très sacrés Justinien et sa femme Théodora. »


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Que Théodora ait été dans sa jeunesse l’infâme prostituée dont nous avons esquissé le portrait d’après Procope, ou que sa naissance obscure et sa vie retirée aient donné prise, par l’ignorance même où l’on en était, à toutes les calomnies d’un annaliste secret, l’historien est embarrassé de décider.

Quand Procope en arrive à parler de Théodora impératrice, on peut consulter sans risque les Anekdota, car on est à même d’y démêler le vrai et le faux en les conférant avec les autres ouvrages de Procope, les écrits des auteurs ecclésiastiques, les chroniques du Corpus byzantin. Mais en ce qui regarde le récit des premières années de Théodora, on manque de toute référence authentique. Chercher par de simples présomptions à faire la part de la vérité et de l’exagération, à concilier ce qui parait vraisemblable et ce qui parait inadmissible, à marquer expressément le degré d’infamie où tomba Théodora, mais qu’elle ne dépassa point, à établir qu’avant sa rencontre avec Justinien la pécheresse s’était purifiée dans une vie claustrale et laborieuse, c’est tenter une œuvre vaine, purement arbitraire, de nulle valeur historique. Faute de tout moyen de contrôle, on doit ou accepter entièrement les assertions de Procope, ou les rejeter entièrement.

L’axiome de droit : Testis unus, testis nullus a aussi son autorité en histoire. Et quel est ce témoin unique qui dépose contre Théodora ? Un écrivain tour à tour historiographe et pamphlétaire du même règne, apologiste excessif et détracteur passionné selon qu’il veut obtenir des bienfaits, ou se venger de ses disgrâces. Quelle crédibilité accorder à l’homme qui, après avoir rendu justice à l’empereur dans la Guerre des Perses, dans la Guerre des Vandales, dans la Guerre des Goths, et après avoir écrit le livre des Édifices pour glorifier Justinien, a écrit l’Histoire secrète pour le vouer a l’exécration ? qui, après avoir dit : Justinien est « le modèle des souverains ; tout est divin en lui ; c’est un ange envoyé du ciel pour le salut de l’humanité ; que sont auprès de ses victoires les jeux d’enfans de Thémistocle et de Cyrus ? » déclare que ce même Justinien a commis tous les forfaits, ruiné l’empire, détruit la puissance romaine, l’appelle âne, le compare à Domitien, affirme enfin que