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hommes de génie qui inventent, nous n’avons pas encore l’instruction technique qui met leurs inventions à la portée des cultivateurs et qui les transforme ainsi en richesse nationale.

Le perfectionnement des moyens de transport a diminué la rente de nos terres ; il faut chercher à la relever par le perfectionnement des procédés de culture. Il faut augmenter les prairies, les herbages et les fourrages temporaires partout où ils ont des chances de succès. Il faut consacrer à la production des bois toutes les terres trop ingrates pour celle des céréales. Après avoir consacré quelques millions d’hectares à la production des fourrages et des bois, qui augmentent de valeur et qui exigent peu de travail, on aura plus d’engrais, tout en ayant à cultiver une surface moins grande en céréales. On obtiendra ainsi un produit brut plus considérable sans accroissement de frais correspondans ; avec une moyenne de 3 ou 4 hectolitres de blé de plus par hectare, on abaissera son prix de revient et l’on pourra lutter avec plus de chances de succès contre la concurrence américaine.

D’un autre côté, la construction des chemins de fer commence à se ralentir aux États-Unis. Les terres les plus rapprochées des gares sont occupées ; quelques-unes s’épuisent, dit-on, et donnent déjà de moins abondantes récoltes. Les nouveaux défricheurs seront forcés de s’éloigner de plus en plus et de construire des routes ; leur blé aura à payer plus de frais de production et plus de frais de transport. Les tarifs des chemins de fer et les frets maritimes sont arrivés à une réduction ruineuse pour leurs actionnaires ; ils ne peuvent plus diminuer encore. Il y a eu, depuis une quinzaine d’années, un excès de développement dans la production du blé, une overproduction, comme disent les Anglais. Les progrès des moyens de transport et, sur certains points, ceux des procédés de culture ont été plus rapides que ceux de la consommation. Mais les enfans d’Adam ne cessent pas de se multiplier, et il y a de nombreuses populations qui ne sont pas encore arrivées au maximum de leur ration de blé ; elles n’en mangent pas, parce qu’elles sont trop pauvres ou n’en connaissent pas encore l’usage. Peu à peu, l’équilibre se rétablira entre la production et la consommation ; le prix du blé se relèvera et, dans dix ou vingt ans peut-être, au XXe siècle, la loi de progression indiquée par M. de Foville reprendra son cours.


EUGENE RISLER.