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Lorsque l’introduction des viandes de porc d’Amérique a été interdite, il y a quelques années, on s’attendait à les voir augmenter de prix sur nos marchés. Le contraire a eu lieu, et les statistiques ont constaté que cela provenait de l’augmentation de notre élevage. On pourrait dire également à cette occasion : ce qu’on voit, c’est l’augmentation des prix que l’interdiction des viandes américaines devrait amener ; ce qu’on ne voit pas, c’est l’influence morale de cette interdiction, la confiance qu’elle inspire à nos éleveurs, et qui est trompée par cela même qu’elle existe. Ainsi les faits dépassent souvent la portée du principe que j’ai cherché à établir.

D’après ce principe, si la France importe, comme pendant ces dernières années, environ 1/10 de sa consommation, le droit d’entrée de 5 francs par quintal de blé que le comice agricole de Laon propose fera, pour une production moyenne de 17 quintaux, 8 fr. 50 par hectare. Si nous importons 3/10 de notre consommation, comme à la suite des années de très mauvaises récoltes, la protection sera 25 fr. 50 par hectare de blé.

Pour la viande, nos importations ne dépassent guère le dixième de notre consommation, si l’on prend leur ensemble. Un droit de 60 francs par tête de bœuf ne ferait donc hausser les prix que de 6 francs et, si 2 hectares peuvent nourrir 3 bœufs, la protection équivaudrait à 0 francs par hectare. Elle serait plus grande pour les moutons, parce que les pays étrangers nous en envoient beaucoup plus. Mais il faut remarquer que les droits ne profiteront qu’aux éleveurs, car ils augmenteront le prix des animaux maigres dans la même mesure que celui des animaux gras.

Une ferme de 100 hectares, qui, suivant l’usage assez général sur les plateaux de la Picardie, a 30 hectares de blé, 30 hectares de betteraves, 20 hectares d’avoine et autres récoltes qu’elle emploie elle-même pour nourrir ses chevaux et son personnel, et 20 hectares de prairies artificielles qui servent, avec les pulpes, à engraisser des bœufs ou des moutons, gagnerait donc 255 à 765 francs, soit 2 fr. 55 à 7 fr. 65 par hectare, et ce que les fabricans de sucre pourraient ou voudraient bien accorder aux cultivateurs comme part du profit qu’ils tirent de la taxe sur les sucres étrangers. Voilà tout ce que l’agriculture du département de l’Aisne peut espérer obtenir par l’effet des droits d’entrée qu’elle réclame. Est-ce suffisant pour la relever de ses désastres ? Ce remède ne ressemble-t-il pas à ces pilules de mie de pain que le médecin donne quelquefois aux malades ? Mais ce n’est pas à un malade imaginaire que nous avons affaire ; et il maudirait tous les médecins de la faculté, s’ils ne lui permettaient pas d’en essayer.

Les droits d’entrée sur les produits étrangers protégeraient donc nos agriculteurs beaucoup moins qu’ils ne l’espèrent, mais, d’un