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entourées de toutes les terres qu’elles ont à cultiver. Il n’en est pas de même dans les arrondissemens de Laon et de Soissons. Les bâtimens d’exploitation sont en général situés sur les bords des plateaux et les terres les plus rapprochées en dépendent. Les cultivateurs qui en sont propriétaires ou fermiers recherchaient, à l’époque où ils faisaient de grands bénéfices, les terres isolées qui se trouvent au-delà. Ils prenaient ainsi en location des étendues de plusieurs centaines d’hectares, mais par marchés de terre qui appartenaient à dix ou douze différens propriétaires. On eut même alors le grand tort de défricher des bois qui se trouvaient sur les Vastes plateaux, très loin des fermes. Mais, quand les mauvaises années sont venues, ces marchés de terre ont été les premiers abandonnés. Les fermiers n’en veulent plus et leurs propriétaires ne savent qu’en faire, parce qu’il leur est impossible de les cultiver, eux-mêmes. Partout la valeur des marchés de terre diminue en proportion beaucoup plus forte que celle des terres pourvues de bâtimens ; dans certaines localités, on les offre à la seule condition de payer les impôts ; ailleurs on les laisse en friche. On devrait reboiser tous ceux qui sont de qualité inférieure ou très éloignés des fermes ; c’est leur destination naturelle.

Dans ses voyages en France, Arthur Young parle du métayage avec un souverain mépris ; en véritable Anglais, il n’appréciait que le fermage et la grande propriété ; mais, dans la crise actuelle, le métayage et la petite propriété se montrent supérieurs au système du fermage, et, si la France souffre moins que l’Angleterre, c’est qu’elle a plus de métayers et de petits propriétaires qui cultivent eux-mêmes leurs terres. Ce qui ruine les fermiers, et surtout les fermiers des grands domaines, c’est la coïncidence de la hausse des salaires et des fermages, qui a commencé depuis longtemps, avec la baisse du prix des céréales, qui s’est produite depuis quelques années : leur bail les lie, et ils ne pourront dégager leur situation que lorsqu’il sera arrivé à son terme. Au contraire, pour les métayers, les loyers diminuent naturellement avec la valeur des récoltes ; ils perdent aussi, mais seulement sur la part qui représente la rémunération de leur travail. Quant au petit propriétaire, ses champs servent avant tout à le nourrir, lui et sa famille ; et il ne porte au marché que le surplus ou des produits spéciaux, comme du lait, des œufs, des volailles, des légumes, etc. Il n’a ni fermage, ni salaires à payer à autrui ; mais ceux qu’il se paie à lui-même diminuent avec le prix du blé qu’il a l’habitude de vendre. Malheureusement sa situation est très différente, lorsque sa terre est grevée de dettes ; il est alors en quelque sorte le fermier de son créancier hypothécaire ; et le bail qui l’engage n’a aucun terme, si ce n’est l’expropriation qui le menace. Nous avons, hélas ! beaucoup