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deviennent un motif d’augmentation de loyer. Malheureusement, un trop grand nombre de propriétaires n’ont aucun rapport direct avec leurs tenanciers ; ils se servent d’intermédiaires, notaires ou agens d’affaires, pour conclure les baux. Ces intermédiaires sont rémunérés proportionnellement aux fermages des biens qu’ils administrent et, presque toujours, ils cherchent avant tout à grossir ces fermages, sans aucune considération pour les personnes. Une partie des anciens fermiers qui avaient contribué au développement de la riche agriculture de la Picardie a été peu à peu évincée par des étrangers inconnus, souvent sans capital, quelquefois aussi sans moralité, qui venaient offrir des loyers plus élevés. L’exagération du privilège du propriétaire parait avoir aussi contribué à multiplier ces locations faites à l’aveugle et à taux exagéré. Les fermages montaient en raison inverse de la solidité morale et financière des cultivateurs, et lorsque survinrent les mauvaises années de 1875 à 1870, la plupart de ces fermiers, déjà endettés, achevèrent de se ruiner, tout en ruinant les terres qu’on leur avait confiées. Les termes ne furent pas payés et, comme l’a dit M. de Saint-Vallier au sénat, les saisies mobilières furent nombreuses de 1880 à 1883. C’étaient des propriétaires qui, en vertu de leur privilège, cherchaient à se dédommager des suites de leur imprévoyante administration. Mais je me hâte d’ajouter que plus nombreux encore, bien plus nombreux, furent les propriétaires qui se montrèrent pleins de bonté et de patience pour leurs malheureux tenanciers. Les fermes complètement abandonnées sont très rares, mais les propriétaires sont obligés d’exploiter eux-mêmes celles pour lesquelles ils n’ont pas voulu accorder les réductions qu’on leur demandait.

Ce qui aggrave la situation où se trouvent certaines régions et, entr’autres le département de l’Aisne, c’est qu’il y a, outre les terres adjointes aux bâtimens d’exploitation, beaucoup de terres volantes ou marchés de terre. Dans tout le bassin de la Seine, les grandes cultures occupent les plateaux de calcaire jurassique, craie ou calcaires tertiaires, recouverts, tantôt d’argile, tantôt de limon plus fertile, mais beaucoup plus perméable pour les eaux. Les vallées et leur voisinage immédiat appartiennent à la petite propriété qui y prospère, malgré la crise ; elle y fait du lait, des légumes et les vend avec profit dans les villes qui se sont également développées dans les vallées, parce qu’elles y trouvent les cours d’eau nécessaires à leurs industries et à leur alimentation. Mais sur les vastes plateaux qui s’étendent entre ces vallées populeuses, il n’existe aucune source. Quand le sol est assez argileux pour retenir les eaux de pluie dans ses dépressions, on y fait des mares, comme dans la Brie et le pays de Caux, et les fermes sont réunies en petits groupes autour de ces mares ou dispersées dans la campagne, et toujours