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bénéfices, les ont répartis en dividendes, au lieu d’en employer une partie à transformer leur outillage, et surtout parce que nos cultivateurs ne savent pas produire des betteraves aussi riches en sucre que nos concurrens, ou n’étaient pas comme eux intéressés à en faire. En fondant l’impôt sur le poids des racines employées à la fabrication, le gouvernement allemand a encouragé la production des betteraves riches et l’extraction aussi complète que possible de ce sucre ; et nous avons bien fait de l’imiter. Mais la véritable supériorité des Prussiens et des Autrichiens consiste dans l’instruction spéciale donnée aux agriculteurs et aux ingénieurs qui dirigent les fabriques de sucre.

Quoi qu’il en soit, au lieu de vendre comme autrefois leurs betteraves 20 francs les 1,000 kilos et souvent plus, quelle que fût leur richesse, nos cultivateurs n’en obtiennent plus que 17 ou 18 francs et encore faut-il qu’elles aient une densité de 5°, 5, ce qui ne permet plus de produire des quantités aussi considérables par hectare qu’avec des betteraves à 4 ou 5 degrés. Le produit brut de chaque hectare est donc diminué de 200 à 300 francs. Sur une ferme de 100 hectares qui faisait 30 hectares de betteraves, c’est un déficit annuel de 6,000 à 9,000 francs ; il vient s’ajouter à celui de 3,000 francs provenant de 30 hectares de froment. La diminution de produit est donc de 9,000 à 12,000 francs pour l’ensemble de la ferme, soit 90 à 120 francs par hectare, à peu près l’équivalent du fermage.

On objectera peut-être à ce raisonnement qu’au temps où les betteraves se payaient 20 francs et le blé 22 francs, les fermiers faisaient des fortunes, et que beaucoup d’entre eux ont placé leurs économies en valeurs mobilières, n’ont pas voulu renouveler leurs baux quand ils ont vu les salaires augmenter de plus en plus, et ont dirigé leurs enfans vers d’autres carrières. Devons-nous en être étonnés ? Il n’y a rien dans le système du fermage qui retienne sur le sol les bénéfices qu’il a donnés. Le fermier fait les réparations des bâtimens auxquelles il est obligé ; il fume les champs et dispose l’assolement de manière à en tirer le plus d’argent possible pendant la durée de son bail et, par conséquent, il a d’autant plus d’intérêt à bien faire que ce bail est plus long. Mais il n’a aucune espèce d’intérêt à laisser à fin de bail ou des bâtimens plus complets ou des terres plus riches qu’à son entrée. Il ne l’aurait que si les clauses de ce bail ou, à leur défaut, une loi analogue à celle que vient de voter le parlement anglais lui donnaient la garantie que la valeur non épuisée, comme disent les Anglais (unexhausted improvements), lui serait remboursée, dans le cas où il n’en resterait pas fermier. Il pourrait être intéressé à faire les améliorations, s’il connaissait assez bien son propriétaire et avait assez de confiance dans sa libéralité pour ne pas craindre qu’elles ne