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immenses prairies qui couvrent le bassin du Mississipi et la fameuse Vallée Bouge ; les troupeaux de bisons et quelques hordes d’Indiens en étaient les seuls habitans. En Californie, on cherchait de l’or dans les mines et l’on ne se doutait pas que l’on pourrait en tirer bientôt beaucoup plus de la terre arable. Un système pastoral tout à fait primitif régnait encore sous ce magnifique climat ; on y élevait des bœufs, comme dans le Texas, comme dans les pampas de l’Amérique du Sud, et l’on n’expédiait en Europe que leurs peaux, qui valaient alors sur place environ 5 francs. Il ne pouvait pas être question de produire du blé dans l’Ouest, car il eût été impossible de le transporter dans les états de l’Est.

Quand la guerre de la sécession fut terminée, les Américains se mirent à construire des chemins de fer avec l’ardeur fiévreuse qu’ils mettent dans toutes leurs entreprises. Une quinzaine d’années leur ont suffi pour relier l’Océan-Pacifique à l’Atlantique, à travers les Montagnes-Rocheuses, et couvrir toute la confédération d’un réseau de lignes qui se font concurrence entre elles. En 1850, ils n’en avaient que 14,500 kilomètres ; en 1860, c’était 49,000 ; 85,000 en 1870 ; 150,000 en 1880. On voit que l’augmentation fut exceptionnellement forte de 1870 à 1880, et, en même temps, elle atteignait des états exceptionnellement favorables à la culture du blé, entre autres la vallée de la Rivière-Rouge, qui forme limite entre le Dakota et le Minnesota, et va se jeter, au nord, dans le lac Winnipeg (Canada). La plupart des compagnies ont, le long de leurs lignes, des concessions plus ou moins étendues de terrains sur lesquels elles cherchent, à grands renforts de prospectus, à attirer des colons pour les vendre le plus cher possible, et surtout pour s’assurer un trafic. L’immigration de colons européens, et, du côté de la Californie, celle des coolies chinois, est considérable et elle tend à s’accroître encore. De plus, pendant la crise industrielle qui sévissait dans les états de l’Est en 1871, le gouvernement de Washington offrit des terres gratuitement aux ouvriers sans travail, qui allèrent en grandes quantités s’établir dans l’Ouest. Toutes ces circonstances réunies ont amené un développement extraordinaire dans les défrichemens des prairies. Ajoutez-y que, pendant cette même période de 1876 à 1880, presque toutes les années ont été, de l’autre côté de l’Atlantique, très abondantes en blé, et qu’en Europe, au contraire, une série désastreuse de mauvaises récoltes augmentait nos besoins d’importation et maintenait les prix à un taux qui laissait un grand bénéfice aux. Américains, et vous vous expliquerez comment ils ont pu doubler leur production de blé dans l’espace de dix ans. En 1870, cette production était de 82 millions 1/2 d’hectolitres, et, les prix commençant à être, sur la place de New-York,