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étudions les faits. Quelles sont les variations qui ont eu lieu, en France, depuis quarante ou cinquante ans, dans les prix des principaux produits de l’agriculture, dans leurs frais de production, dans le loyer et la valeur des terres ? Dans quel ordre ces variations ont-elles apparu ? Quels sont les rapports qui les relient, soit entre elles, soit avec les changemens survenus dans la législation commerciale et dans les moyens de transport ?

La crise agricole existe également en Angleterre ; elle y est même plus ancienne et, à certains égards, plus intense que chez nous, et elle a donné lieu, dès 1881, à une enquête très sérieuse. Elle existe dans la plus grande partie de l’Europe. Elle existe dans l’Amérique du Nord elle-même, où les états de l’Est, les plus anciens de la Confédération, ont été obligés de transformer complètement leurs systèmes de culture depuis que les chemins de fer leur amènent les blés du bassin du Mississipi et de la Californie. Tout en nous occupant plus particulièrement de la France, nous devons chercher à nous instruire en nous comparant aux autres, et à juger ainsi notre propre situation d’un point de vue plus large et plus élevé.


I

La loi du 9 août 1879 avait prescrit une nouvelle évaluation des propriétés non bâties de la France. L’administration des contributions directes venait de terminer cet immense travail, établi d’après les estimations directes du revenu net contrôlé par les actes enregistrés pendant les dix dernières années. Ses résultats avaient été publiés en 1883 et constataient que, de 1851 à 1879, la valeur du territoire agricole avait augmenté de 30 pour 100, soit plus de 30 milliards, lorsque M. le comte de Saint-Vallier vint apporter à la tribune du sénat le sombre tableau de la situation agricole du département de l’Aisne, qui eut un si grand retentissement. Quel contraste entre les chiffres de l’enquête administrative et les plaintes générales sur les souffrances de l’agriculture ! Pourquoi cette brusque dépression dans le loyer et la valeur des terres après une si longue période d’augmentation ? Essayons de le découvrir en passant rapidement en revue les diverses régions de la France.

Le département où l’augmentation dans la valeur des terres a été la plus considérable est celui de l’Allier ; elle a été de 142 pour 100. Elle provient principalement de l’établissement des chemins de fer qui ont ouvert des débouchés à ses produits, mais elle est due également aux propriétaires qui ont su développer leur production en raison des nouveaux débouchés, et comme M. V. de Tracy, comme M. Bignon, améliorer les conditions d’existence de leurs métayers,