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de six notables se rendit à bord. L’orateur commença par déclarer que la détermination des gens de Boue était telle que jamais ils ne passeraient vivans sous la domination du bey de Constantine, puis il demanda qu’on voulût bien les assister d’un envoi de vivres et d’un détachement de cette troupe musulmane dont on disait que les Français appréciaient le bon service à Alger, en ajoutant qu’ils souhaiteraient de voir à la tête du détachement un officier du génie. A son arrivée à Alger, le commandant Huder ne manqua pas de faire connaître au général Berthezène la triste situation de Bône et le vœu de ses habitans. C’était au moment de la grande insurrection de la Métidja ; il fallait attendre ; puis ce fut autour du commandant en chef le choc des opinions contradictoires, et, dans sa propre tête, le doute, l’embarras, l’indécision accoutumée. Un fait cependant lui donnait à réfléchir, c’est qu’au mois de mai il avait reçu du ministre de la guerre l’assurance formelle que le gouvernement attachait un grand prix à l’occupation de Bône. Entre, ne rien faire ou faire beaucoup, il se décida enfin à faire quelque chose, c’était un moyen terme ; mais ce quelque chose, comme on va voir, allait se réduire à si peu que rien.

Depuis longtemps initié aux choses d’Orient, le commandant Huder était moins un militaire qu’un diplomate ; il se fit donner par le général Berthezène la direction d’une affaire où il fallait manœuvrer, selon lui, avec plus de dextérité que de vigueur. Son rôle était plus compliqué encore que celui de maître Jacques ; car d’après l’explication fournie par un des officiers généraux d’Alger, il était « tout à la fois commandant militaire, intendant civil, intendant militaire et envoyé diplomatique. » L’escorte qu’on lui donna, — car en vérité on ne peut appeler autrement le détachement désigné pour être à ses ordres, — consistait en une compagnie du 1er bataillon de zouaves, composée de 4 officiers, de 8 sous-officiers, et de 115 soldats, munis chacun de 150 cartouches ; il y avait de plus 100 fusils et 60 costumes complets pour armer et habiller les gens de la ville qui voudraient prendre un engagement dans le corps. Le capitaine de la compagnie, venu du génie, comme Duvivier et La Moricière, se nommait Bigot ; c’était un officier d’une grande vigueur et d’une grande intelligence, de manières un peu rudes, parlant l’arabe et sachant la guerre comme il convenait de la faire en Afrique, La petite expédition, embarquée sur la corvette Créole et le brick Adonis, avec un grand chargement de vivres, sortit du port d’Alger le 9 septembre et prit terre à Boue le 14.

Au débarquer, le commandant Huder fut d’abord accueilli comme un sauveur ; mais quand on vit les zouaves, il y eut des gestes de surprise, des chuchotemens, des murmures ; ce qui faisait scandale, c’étaient les baïonnettes, les tambours, l’uniforme même ; on