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au-dessous d’eux, les flanqueurs du 30e, déjà engagés sur les pentes contre un ennemi supérieur en nombre, hésitent, reculent et viennent tomber par groupes au travers de la colonne qu’ils brisent. Alors c’est la panique ; en un moment, elle a gagné jusqu’à l’avant-garde ; on se hâte, on se bouscule, on se précipite ; des officiers ont perdu leur sang-froid ; on en entend même un crier : « On nous sacrifie ! La position n’est pas tenable ! » Médiocre chef d’armée ; le général Berthezène, est un bon soldat ; saisissant un drapeau, il vient le planter en face de l’ennemi ; quelques braves se groupent alentour. Le sacrifice de leur vie va-t-il être inutile ? Non. Sous la main ferme du commandant Duvivier, le bataillon mixte : ne s’est point défait ; à la voix de leur ancien chef, les zouaves se déploient en travers de la route, jusqu’aux crêtes ; à la voix du capitaine de La Moricière, les Parisiens du 67e viennent se placer sur l’alignement des zouaves. Le mouvement d’abord, puis le feu calme et sûr de cette troupe bien commandée imposent aux assaillans ; ils s’arrêtent ; lorsqu’ils reprennent l’attaque, la crise est passée, la colonne sauvée, la retraite efficacement couverte. Abandonné à lui-même, mais militairement conduit, le bataillon mixte se retire sans hâte ; au lieu de s’engager corps à corps, l’ennemi ne suit plus qu’à distance. Dans la déroute, un obusier de montagne est resté gisant, non point abandonné, car le commandant Camain, de l’artillerie, le garde seul, sabre en main ; Duvivier relève la pièce et la ramène avec le brave qui n’a pas voulu s’en séparer.

De Haouch Mouzaïa, le commandant Cassaigne, du 30e, s’était porté au-devant de la colonne en désordre ; derrière sa ligne déployée, au rappel des tambours qui battent la marche des différens corps, les élémens confondus se démêlent ; compagnies, bataillons, régimens se reforment. On distribue des vivres, de l’eau-de-vie, des cartouches ; mais le soldat meurt de soif et l’eau manque ; les Arabes ont détourné le ruisseau qui alimente la ferme. Il est midi ; la chaleur est étouffante ; Aux Kabyles ont succédé des hordes d’Arabes qu’on voit accourir de tous les points de l’horizon ; tous les cavaliers de Béni Khétil, de Khachna, de la plaine Hadjoute sont là ; rôdant, guettant autour de la division comme autour d’une proie qui ne peut leur échapper. Tout à coup, vers quatre heures, ils se rassemblent, mais au lieu de charger sur le bivouac, ils s’éloignent vers l’est ; c’est au ravin de la Chiffa, à l’endroit où les Français ont l’habitude de passer la rivière, qu’ils vont les attendre. Informé de leur dessein, le général Berthezène ne se hâte point. Avant de lever le bivouac, il fait lire aux troupes un ordre sévère : « C’est avec peine que le lieutenant général se trouve dans la nécessité de blâmer la conduite que quelques troupes ont tenue aujourd’hui, et le peu de vigueur que quelques officiers ont montré dans cette