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ruer sur lui, venger ses morts, prendre sa revanche des moissons détruites, des gourbis incendiés. Combien de fois les anciens n’avaient-ils pas enflammé la jeunesse par le récit de quelqu’une de ces poursuites ardentes, obstinées, acharnées, sous lesquelles bien souvent avaient succombé les Turcs !

Il était trois heures. La retraite commença, par échelons, les grenadiers et les voltigeurs du 28e à l’extrême arrière-garde. Ces compagnies d’élite, abordées par des hordes d’ennemis bondissant, refluant, tourbillonnant comme les flots autour d’un récif, ne purent ou ne surent pas maintenir la distance qui devait les séparer du gros de la colonne ; elles évacuèrent trop vite les positions qu’elles avaient ordre d’occuper ; bientôt elles se trouvèrent confondues avec les troupes qu’elles étaient chargées de couvrir ; heureusement la réserve, accourue à la rescousse, mit un terme à ce commencement de désordre. C’était une leçon, un avertissement sérieux ; l’armée avait à foire l’apprentissage de la guerre de montagne ; elle avait surtout à modifier sa tactique, excellente pour l’attaque, médiocre pour la défense, dangereuse pour la retraite. Aux approches de Médéa, les assaillans s’arrêtèrent ; encore animés, bruyans, brandissant leurs armes, ils poussaient des cris de victoire. Tout le reste du jour on vit descendre, comme les cascades du flanc des montagnes, et déboucher comme un torrent du fond des ravins, les contingens des tribus lointaines que l’insurrection avait atteintes de proche en proche.

Le but de l’expédition était manqué ; au lieu d’imposer la soumission, elle avait déchaîné la révolte. L’autorité de Ben-Omar était si évidemment anéantie que, pour grâce dernière, il obtint du commandant en chef la permission de se retirer ; un grand nombre de Maures et de juifs, par terreur des Kabyles, demandèrent à partir avec lui. Après avoir longtemps hésité sur le parti qu’il devait prendre, le général Berthezène avait donné des ordres pour l’évacuation de Médéa. Le 2 juillet, vers quatre heures du soir, les deux brigades se mirent en mouvement, les blessés et les fugitifs entre elles, l’arrière-garde formée de la cavalerie et de deux compagnies de voltigeurs. Dès le débouché de l’aqueduc, la colonne fut accueillie par un feu de tirailleurs qui ne cessa pas jusqu’au bivouac de Zeboudj-Azara. C’était là que le commandant en chef avait d’abord décidé qu’on passerait la nuit ; les feux furent allumés, les escouades commencèrent à préparer la soupe ; à onze heures, l’ordre arriva de renverser les marmites, mais de laisser les feux bien entretenus et de prendre la route du Ténia dans le plus grand silence. Le commandant Marey, des chasseurs algériens, avait été averti par ses Arabesque l’ennemi devait attaquer le bivouac au milieu de la nuit.