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la constitution de 1791 : la fidélité des Canadiens dans la guerre de 1812, les malheurs qui pouvaient résulter de changemens politiques accomplis contre le gré des peuples, l’avantage pour des provinces de ne pas avoir des limites trop étendues, la différence des coutumes, de la religion et même des préjugés. Ils disaient aussi « que la langue de son père, de sa famille, de ses premiers souvenirs, est infiniment chère à tout homme, » et que les menaces de l’abolir étaient douloureusement ressenties dans un pays où cette même langue avait tant contribué à conserver le Canada à la Grande-Bretagne au temps de la révolution américaine. Bien qu’Anglais de race et protestant, M. Neilson, comme bon nombre de ses compatriotes, faisait cause commune avec les Canadiens ; imprimeur et directeur de la Gazette de Québec, ami personnel des membres les plus distingués du clergé catholique, esprit froid, énergique dans la modération, circonspect avec fermeté, il eut une grande influence sur la colonie, où ses conseils furent longtemps acceptés comme des oracles.

Au Canada, la banqueroute du receveur général Caldwell, un des chefs du conseil législatif, portait un coup terrible à ce dernier et confirmait l’attitude de l’assemblée : elle avait donc raison d’exiger ce contrôle qu’on lui refusait, de prétendre pénétrer dans le labyrinthe des finances, de croire que la défiance des fonctionnaires est le commencement de la liberté. Dans la session de 1823, le gouverneur dut informer le législateur que Caldwell avait emprunté à la caisse publique 96,000 livres sterling, somme presque égale à deux années de revenus. Enhardi par le succès de MM. Papineau et Neilson, par ce krach dont la honte rejaillissait sur ses adversaires, complices volontaires ou inconsciens du receveur-général, la chambre déclara le gouvernement responsable de ces concussions, et, dans une adresse au roi, elle représenta qu’on l’avait toujours empêchée de les prévenir. Elle reprochait aussi à lord Dalhousie d’avoir dépensé sans autorisation l’argent de la province : il répondit qu’il y avait été contraint par le refus d’accorder les subsides et invoqua l’exemple de Pitt, qui, dans un cas semblable, avait agi de même en Angleterre. Dans son projet de budget, il divisait les dépenses publiques en permanentes et spéciales, affectant de considérer que les premières devenaient obligatoires et n’avaient pas besoin de la sanction du parlement. La chambre repoussa ces estimations, vota une liste civile de 43,000 livres sterling embrassant tous les salaires sans distinction et retrancha aux fonctionnaires le quart de leurs appointemens, ce qui fit rejeter le bill par le conseil. La rupture semblait complète et lord Dalhousie prorogea les chambres le 9 mars 1824, mais comme toujours les élections générales ne firent qu’augmenter les forces du parti populaire. Pendant un voyage d’un an qu’il fît en Angleterre,