Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bataille ; ils deviennent d’autant plus audacieux que Bonaparte remporte de grands succès en Europe et préméditent de rétablir le drapeau français au Canada. » Afin de prévenir de telles éventualités, il conseille soit d’abolir la constitution, soit de réunir les deux Canadas, tout au moins de grouper les comtés de manière à augmenter le nombre des députés anglais dans la chambre du Bas-Canada ; le roi devait nommer les curés ; il convenait aussi de s’emparer des biens du séminaire de Montréal. Il confia ses dépêches à son secrétaire Ryland, qui eut plusieurs entretiens avec lord Liverpool, avec Robert Peel, et fut appelé à une séance du conseil, où il déclara qu’il regardait les membres de l’assemblée a comme une bande de démagogues méprisables. » Le ministère aurait peut-être prêté l’oreille à ces suggestions, s’il n’eût craint l’opposition du parlement, si, d’autre part, la guerre contre Napoléon Ier, l’attitude de plus en plus hostile des États-Unis ne l’avaient obligé à une grande prudence. Pour la troisième fois depuis la conquête, les Canadiens allaient devoir leur salut à des causes extérieures, et cette tactique de l’Angleterre fait songer au mot célèbre d’O’Connell : England’s difficulties are Ireland’s opportunities. Ryland échoua dans sa mission et Craig reçut des instructions dans le sens d’une politique différente de celle qu’il conseillait.

Il avait pu se convaincre d’ailleurs qu’il est plus facile d’intenter des procès de tendance que de les justifier, car le complot n’existait que dans son imagination et les lois n’avaient été violées que par lui. On eut beau examiner, retourner en tout sens les articles du Canadien, on n’y trouva que l’expression d’une fidélité absolue à la constitution britannique et à la royauté. On n’osa point faire de procès aux prisonniers, mais, petit à petit, sous divers prétextes, on les mit en liberté, à l’exception de M. Bedard, qui refusait de quitter son cachot avant d’avoir subi le jugement d’un jury. Le peuple renomma ses défenseurs et la session de 1810 s’ouvrit d’une manière plus calme qu’on ne pensait. Dans son discours du trône, le gouverneur ne dit pas un mot des derniers événemens, affirma qu’il n’avait jamais douté de la loyauté des différens parlemens qu’il avait convoqués et invita les chambres à renouveler les lois établies pour la sûreté du pouvoir. Tout en répondant sur un ton conciliant, l’assemblée fit remarquer que l’application de ces lois lui commandait de s’assurer s’il ne convenait pas de les modifier de façon à affermir la confiance entre le gouvernement et le peuple ; elle demanda ensuite à Craig de relâcher M. Bedard. Il ne voulut point paraître se rendre à ces injonctions, mais on comprit qu’il ajournait sa décision pour avoir l’air de prendre lui-même l’initiative de cette mesure. La session se passa assez tranquillement et, en prorogeant le parlement, le gouverneur