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m’attendais, ajoutait-il, à ce que vous feriez des efforts sincères pour assurer la concorde… J’avais droit d’espérer cela de votre part, parce que c’était votre devoir, parce que c’eût été donner au gouvernement un témoignage positif de la loyauté dont vous faites si hautement profession et dont je crois que vous êtes pénétrés ; enfin, parce que les conjonctures critiques du temps présent, et surtout la situation précaire où nous sommes par rapport aux États-Unis, l’exigeaient d’une manière plus particulière. Je regrette d’avoir à constater que j’ai été trompé dans mon attente, déçu dans toutes mes espérances. » Ainsi, au moment même où, de son propre aveu, la guerre avec les États-Unis devenait imminente, sir James Craig ne craignait pas de tenir une conduite qui aurait pu avoir des suites si graves si elle eût obtenu l’approbation de l’Angleterre. Heureusement, celle-ci appréciait mieux la situation, et le gouverneur reçut l’ordre de sanctionner le bill des juges, s’il passait devant les deux chambres. Le peuple canadien renvoya les patriotes, rejeta les indécis, et la nouvelle assemblée commença par voter que toute tentative pour lui dicter sa conduite et censurer ses actes constituait une violation de ses privilèges, une dangereuse atteinte aux libertés publiques ; puis, afin d’avoir barre sur ces fonctionnaires qui affectaient de la décrier, de la traiter avec mépris, elle arrêta une adresse au parlement impérial par laquelle elle offrait de se charger de toutes les dépenses civiles. Et comme le conseil législatif cherchait à amender le bill des juges, elle perdit patience, et, par un simple vote, déclara vacant le siège du juge de Bonne.

Alors Craig entre en fureur et, voulant punir les représentans de cet acte d’énergie contre un de ses favoris, il prononce une nouvelle dissolution ; décidé à frapper de grands coups pour intimider les électeurs, il fait jeter en prison l’imprimeur du Canadien, les députés Bedard, Taschereau et Blanchet, sous l’inculpation de haute trahison. Pendant quelques jours, Québec semble une ville en état de siège, les gardes de la ville sont augmentées, des patrouilles parcourent les rues, la malle est détenue afin de saisir, disait-on, les fils du complot, des mandats d’arrêt décernés contre divers notables de Montréal. Le gouverneur adresse au peuple une proclamation où il dénonce avec une ridicule violence de langage les prétendus conspirateurs. Il écrit à lord Liverpool, ministre des colonies, qu’un parti démocrate nombreux répand ses dangereux principes dans toutes les parties du Canada, que sa conduite est devenue si intolérable qu’il a dû prendre des mesures énergiques. « Les Français et les Anglais, dit-il dans une autre dépêche, ne se fréquentent point : les Canadiens sont d’une ignorance extrême, ivrognes, insolens envers leurs supérieurs et lâches sur le champ de