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tempête ou le soleil dans l’âme de ses auditeurs : par la chaleur de son patriotisme, la véhémence de sa diction, il savait éveiller en eux les sentimens d’honneur et d’indépendance ; mais son imagination, son courage, manquaient du contrepoids d’une raison supérieure qui l’aurait détourné des résolutions imprudentes dans lesquelles il devait plus tard entraîner ses compatriotes.

M. Panet fut réélu orateur de l’assemblée, et Craig n’osa lui refuser sa ratification, mais son discours d’inauguration contenait des allusions désagréables à la majorité. En guise de représailles, M. Bourdages demanda que l’assemblée exprimât son opinion sur la camarilla : on lui répondit qu’elle ne pouvait attaquer directement l’administration, puisqu’il n’y avait pas au Canada de ministère responsable comme en Angleterre. M. Bedard s’empara de l’objection, et, avec une grande hauteur de vues, montra que cette absence de responsabilité constituait justement le vice fondamental de la charte de 1791, que, sans elle, on n’aurait jamais que le simulacre d’un gouvernement constitutionnel. Sans ministère, la chambre se trouvait enfermée dans ce dilemme : ou déserter son devoir et abdiquer, ou critiquer directement le représentant même du roi, ce qui, observait M. Bedard, serait une chose monstrueuse, parce qu’on doit voir dans le gouverneur la personne sacrée de sa majesté et lui appliquer la maxime en vertu de laquelle elle est irresponsable. Le juge de Bonne, organe du château, s’éleva contre cette théorie, qu’il déclarait inventée pour avilir, l’autorité royale et le souverain lui-même. M. Bedard devançait son époque, et, comme tous les précurseurs, il ne fut compris ni de ses amis, ni de ses adversaires : la majorité se contenta d’expulser de nouveau M. Hart, député des Trois-Rivières, en sa qualité d’israélite, et de renouveler le bill des juges.

C’était encore beaucoup trop aux yeux de la faction, qui arrêta de recourir à une dissolution de la chambre. Celle-ci siégeait depuis trente-six jours seulement. On prépara l’exécution de ce projet comme on prépare l’exécution d’un complot, et les représentans n’en eurent connaissance que lorsque les grenadiers de la garde arrivèrent devant leur porte. Le discours de prorogation était bien plutôt la semonce d’un pédagogue irrité qui va appliquer la férule à des écoliers mutins, que la harangue d’un gouverneur constitutionnel. S’érigeant en juge des délibérations de l’assemblée, Craig lui reprocha d’avoir consumé son temps en débats stériles, abusé de ses fonctions, manqué de respect envers les autres branches de la législature. Pour accentuer son hostilité, il remercia de leur zèle les membres du conseil législatif et manifesta l’espoir que des représentans mieux choisis sauraient travailler avec plus de concert et de fruit au bien public. « Je