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de profiter d’une surprise, et ils proposèrent successivement trois candidats. L’un d’eux, M. Richardson, ayant soutenu que par loyauté, par reconnaissance, les Canadiens devaient accepter la langue de la métropole, M. Joseph Papineau s’éleva avec force contre les prétentions d’une minorité qui manquait à toutes ses promesses envers ses électeurs ; il demanda ce que signifiait la charte de 1791, si les droits de la majorité étaient violés, sa langue proscrite. « Eh quoi ! s’écria-t-il, parce que les Canadiens, devenus sujets de l’Angleterre, ne savent pas la langue des habitans de la Tamise, ils seront privés de leurs droits ! » A son tour, M. Panet observa qu’on parlait le français dans les îles de Jersey et de Guernesey, qui étaient attachées à l’Angleterre depuis Guillaume le Conquérant et dont les habitans lui gardaient une fidélité à toute épreuve. « Il aurait pu, dit M. Garneau, ajouter que durant trois siècles après la conquête normande, la cour, l’église, la justice, la noblesse avaient parlé français en Angleterre, que c’était la langue maternelle de Richard Cœur de lion, du Prince Noir et même de Henri V, que tous ces personnages avaient été bons Anglais, qu’ils avaient, avec leurs arbalétriers bretons et leurs chevaliers de Guyenne, élevé la gloire de l’Angleterre à un point où les rois de la langue saxonne n’avaient pu la porter ; enfin que l’origine de la grandeur de l’empire était due à ces héros et aux barons normands qui avaient signé la grande charte et dont les opinions avaient toujours conservé leur influence dans le pays. »

Les Canadiens l’emportèrent, et leur candidat, M. Panet, réunit 28 suffrages contre 18. Après avoir voté une adresse au roi pour le remercier de l’octroi de la constitution, les chambres s’occupèrent de leurs règlemens, qu’elles calquèrent sur celui du parlement impérial. Ce travail donna lieu au parti anglais de reprendre l’offensive. M. Grant ayant proposé que les procès-verbaux de l’assemblée fussent rédigés en anglais, sous prétexte qu’il fallait garder l’unité de la langue légale et qu’aucune législature coloniale n’avait le droit de s’en écarter, les Canadiens protestèrent avec énergie : « Pourquoi donc, dit M. de Rocheblave, nos collègues anglais se récrient-ils en nous voyant décidés à conserver nos usages, nos lois et notre langue maternelle, seul moyen qui nous reste de défendre nos propriétés ? Le stérile honneur de voir dominer leur langue les portera-t-il à ôter leur force et leur énergie à ces mêmes lois, à ces usages, à ces coutumes qui font la sécurité de leur propre fortune ? Maîtres sans concurrence du commerce qui leur livre nos productions, n’auraient-ils pas infiniment à perdre dans le bouleversement général qui serait la suite infaillible de cette injustice ? Et n’est-ce pas leur rendre le plus grand service que de s’y opposer ? » Tous les amendement de la minorité furent repousses, et on décida