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La révocation de l’ordonnance de la milice ! — Puisse l’événement du jour porter un coup mortel à tous les préjugés contraires à la liberté civile et au commerce ! » Telle était alors la timidité et l’insignifiance des journaux que la Gazette de Montréal n’osa mentionner ni le lieu du banquet, ni les noms des convives. Au reste, les divers régimes essayés au Canada, loi martiale et gouvernement militaire de 1760 à 1774, gouvernement civil absolu de 1774 à 1791, étaient naturellement peu favorables à l’éclosion d’une presse libre : le premier journal canadien, la Gazette de Québec, fondée en 1774, renferme à peine un article politique dans l’espace de neuf ans ; on n’y trouve que des annonces, des nouvelles étrangères empruntées aux papiers de Philadelphie et d’Angleterre, des pièces officielles, de très rares faits divers. Chaque page a deux colonnes, l’une en anglais, l’autre en français. En 1775 elle se vante « d’avoir mérité le titre de la plus innocente gazette de la domination britannique et qu’il y a très peu d’apparence qu’elle perde un titre si estimable. » C’est l’idéal de la feuille gouvernementale et salariée, et, pendant près de quinze ans, elle ne rencontre aucun compétiteur. En 1779, Fleury Mesplet entreprend de fonder sous le titre de Tant pis ! tant mieux ! un journal « du genre libellique » rédigé entièrement en français, mais quelques mois après, le gouverneur Haldimand met sous les verrous l’imprimeur, le rédacteur et tue du coup la feuille indépendante ; d’autres journaux eurent le même sort. Ce n’est qu’en 1791, au moment où on inaugure le système représentatif, que bien timidement encore, la presse politique entre en scène. Sous le nom de Club constitutionnel, se forme une association qui se réunit une fois par semaine, a pour but de répandre les connaissances politiques et publie un résumé de la constitution avec des notes explicatives. Les Canadiens étaient surtout familiers avec la littérature française du XVIIe siècle et de la seconde partie du XVIIIe siècle ; les livres français étaient rares, ceux du moins qui s’occupaient de la chose publique, les livres anglais presque introuvables. Cependant, après bien des recherches, on finit par se procurer un volume qui traitait de la constitution britannique ; les députés l’étudient, puis ces professeurs improvisés de science politique se mettent en marche pour visiter à domicile chacun de leurs collègues. Arrivés chez l’un d’eux, dit M. Sulte, auquel est empruntée cette curieuse anecdote, ils commentent le livre, extraient des passages en les comparant avec les articles de leur constitution, et quand la leçon est terminée, ils passent dans le comté voisin, et ainsi de suite, par toute la province. C’est presque une vérité passée à l’état de lieu-commun qu’une constitution ne vaut que par les hommes qui l’appliquent, qu’une