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coin d’une véritable tyrannie et pèsent d’un poids écrasant sur la population, les abus se multiplient, la justice s’achète à deniers comptans, le secret des correspondances est violé, et, sous les prétextes les plus futiles, Haldimand fait emprisonner par centaines les citoyens. C’est ainsi qu’un ancien magistrat, M. du Calvet, soupçonné d’intrigues avec les Américains, est arrêté dans son domicile le 27 septembre 1780, soumis pendant près de trois ans à la détention la plus rigoureuse et rendu à la liberté sans avoir pu obtenir qu’on fit son procès, sans qu’on voulût lui dire quel était son crime. A peine sorti de prison, il part pour Londres, réclame la mise en jugement du gouverneur, publie sous le titre d’Appel à la justice de l’État, un volume de lettres où on lit des invocations comme celle-ci : « Qu’il est triste d’être vaincu ! Encore, s’il n’en coûtait que le sang qui arrose les champs de bataille, la plaie serait bien profonde, bien douloureuse, elle saignerait bien des années, mais le temps la fermerait. Mais être condamné à sentir continuellement la main d’un vainqueur qui s’appesantit sur vous ; mais être esclave à perpétuité sous l’empire du souverain constitutionnel du peuple le plus libre de la terre, c’en est trop ! .. » Et après une vive peinture du lourd despotisme d’Haldimand, des malversations des fonctionnaires, de la corruption des juges, des violations perpétuelles de l’acte de 1774, il conclut en réclamant l’introduction du régime constitutionnel, avec gouverneur justiciable des lois de la province, chambre d’assemblée élective, nomination de députés qui représenteraient le Canada an parlement anglais, inamovibilité des conseillers, jugement par jury, loi d’habeas corpus, liberté de la presse, liberté de commerce, etc..

On peut dire que le mémoire de Du Calvet détermina la fondation d’un parti constitutionnel canadien, à côté de ce parti constitutionnel anglais qui rêvait d’un parlement protestant, fabriqué tout exprès pour son usage exclusif et comme machine de guerre contre les anciens habitans. Des pétitions en faveur du régime électif parviennent à Londres, suivies de pétitions en sens contraire : ainsi que l’observe M. Chauveau, la politique moderne, avec son jargon et ses définitions, fait irruption au Canada, les citoyens se divisent en constitutionnels et anticonstitutionnels. « Que Sa Majesté, disait M. Joseph Papineau, nous donne une chambre d’assemblée, nous pourrons y défendre et conserver nos lois, exposer nos vœux et nos besoins. » En présence de cette agitation variée, l’Angleterre eut recours aux enquêtes, procédé à double fin qui permet d’enterrer les questions ou de préparer leur solution en gagnant du temps. Mais les rapports des comités auraient couru grand risque d’aller se perdre dans les cartons du ministère, si les premiers grondemens de la révolution française ne lui avaient donné l’éveil. En 1789, le ministre