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ordonnance qui rétablissait les lois françaises relatives au droit de propriété et de succession. Le siège épiscopal de Montréal étant devenu vacant, il appuya la requête du clergé pour obtenir que le ministère reconnût un évêque et un chapitre revêtus des mêmes pouvoirs qu’autrefois. Ses instructions lui prescrivaient de convoquer une assemblée de représentans du peuple : il l’empêcha de siéger, car les Canadiens refusèrent de prêter le serment du test, et il était décidé à ne pas constituer un parlement composé des seuls protestans. Bien que ceux-ci fussent au nombre de cinq cents à peine, ils prétendaient rester seuls électeurs, seuls éligibles, dépouiller de ses propriétés l’évêque catholique pour en investir l’évêque anglican, confisquer les biens des communautés religieuses ; et ils avaient de si puissans protecteurs à Londres qu’ils obtinrent la révocation du général Murray, accusé de se montrer sympathique aux Canadiens. Tel était d’ailleurs le fanatisme en Angleterre, qu’une université formula le système suivant qu’on pourrait, avec quelques variantes, proposer comme modèle aux amateurs de laïcisation : « Ne jamais parler contre le papisme en public, mais le miner sourdement ; engager les personnes du sexe à épouser des protestans,.. ne pas exiger actuellement le serment d’allégeance, réduire l’évêque à l’indigence, fomenter la division entre lui et ses prêtres ; .. si l’on conserve un collège, en exclure les jésuites, les sulpiciens, les Européens et ceux qui ont étudié sous eux, afin que, privé de tout secours étranger, le papisme s’ensevelisse sous ses propres ruines ; rendre ridicules les cérémonies religieuses qui frappent les imaginations, empêcher les catéchismes, paraître faire grand cas de ceux qui ne donneront aucune instruction au peuple ; les entraîner au plaisir, les dégoûter d’entendre les confessions ; louer les curés luxueux, leur table, leurs équipages, leurs divertissemens ; excuser leur intempérance, les porter à violer le célibat qui en impose aux simples, tourner les prédicateurs en ridicule. »

Nul doute que ce programme révélât les pensées secrètes du gouvernement et que sa réalisation eût été poursuivie avec âpreté, si les événemens extérieurs n’avaient opéré une diversion utile aux intérêts du peuple canadien. On sait comment, épuisée par la guerre contre la France et l’Espagne, l’Angleterre prétendit, en vertu de son droit de souveraineté, taxer sans leur consentement ses colonies de l’Amérique du Nord ; comment, à l’exception du Canada, de la Nouvelle-Ecosse, qui gardèrent le silence ou n’opposèrent qu’une résistance passive, celles-ci protestèrent aussitôt contre l’acte du Timbre, soutenant que des sujets anglais ne devaient être imposés que par leurs propres représentans et que, n’ayant point de mandataires au parlement britannique, celui-ci ne pouvait leur inspirer confiance ;