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années revenaient des ambitions que, plus jeune, il avait prudemment dédaignées. Il y a, dans les arts comme dans les lettres, une fausse respectabilité qui s’attache non pas au talent qu’on déploie, mais au genre dans lequel on l’exerce. Hogarth a été, comme bien d’autres, dupe de cette erreur : de là ses essais malheureux et tardifs pour atteindre à la grande peinture. Nous n’insisterons ni sur les infortunes légendaires de sa Sigismonde, ni sur la fantaisie qui le prit, à cinquante ans, de se faire auteur en publiant l’Analyse du Beau. Ces tentatives, dans différens domaines qui n’étaient pas le sien, lui valurent des critiques acerbes et de cruelles railleries. On caricatura le grand caricaturiste, qui ripostait, de son mieux, mais n’osait se plaindre :


:Quis tulerit Gracchos de seditione quærontes ?


Mais c’est surtout la politique qui devait troubler, nous pourrions dire abréger les derniers jours de l’artiste. Pendant la première partie de sa carrière, il s’était assez heureusement soustrait à l’action malfaisante de cette grande ennemie de l’art et de la littérature ; il lui avait même dû quelques succès. Ses caricatures sur les élections de 1748, aussi confuses que ces élections elles-mêmes, lui avaient fait peu d’ennemis, parce que le public refusait de se passionner pour les misérables querelles de personnes, alors en jeu dans les combats parlementaires. En 1745, Hogarth avait irrité le roi en caricaturant ses grenadiers, dans sa fameuse Marche sur Finchley ; mais le roi avait pardonné puisque, peu d’années après, l’artiste coupable devenait son peintre ordinaire. Enfin, il s’était fait applaudir de tous les partis et de toutes les classes en chatouillant l’amour-propre national par des dessins patriotiques et satiriques contre la France et les Français.

Cette animosité nous semble toute naturelle. Les Anglais, aujourd’hui nos amis jaloux, étaient alors nos ennemis acharnés. Depuis la ligue d’Augsbourg jusqu’aux traités de 1815, on compte, entre les deux pays, sept grandes guerres qui donnent ensemble un formidable total de plus de cinquante années d’hostilités ouvertes. Les paix ne sont que des trêves ; toutes sont suivies d’un redoublement de haine. L’Anglais n’est jamais satisfait des traités que signe pour lui son gouvernement. Vainqueur, il est insatiable d’avantages ; vaincu, il voudrait combattre encore. De là une mauvaise humeur qui va croissant jusqu’à ce qu’une nouvelle guerre éclate. En attendant, on emploie les loisirs d’une paix forcée à calomnier, à couvrir de ridicule les ennemis de la veille et du lendemain : il est si doux de pouvoir mépriser ce qu’on déteste !

Les échantillons de notre nation que les Anglais avaient