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plus que les fantaisies sont rares dans l’œuvre de cet artiste raisonnable. Il nous a fait voir, ou plutôt entrevoir Kate dans son cercueil. Autour de ce cercueil encore béant, il a groupé tous les types de la profession, depuis celles qui en sont la poésie et la fleur jusqu’à celles qui en sont l’inexprimable dégoût, depuis la novice qui songe encore à sa poupée jusqu’aux entremetteuses chevronnées. Même parmi celles-ci, que de physionomies diverses ! Le Bec à corbin, tanné, cuivré, basané, semble un invalide de Greenwich ou de Chelsea, déguisé en femme ; une autre, monstrueusement adipeuse, s’engloutit dans ses trois mentons. Toutes, émues ou indifférentes, se sont composé une figure, comme elles se sont fagoté une toilette, pour la circonstance. La bonne, qui veut faire décemment les choses, s’est procuré un ecclésiastique ; elle s’est procuré aussi une bouteille de porto, avec un plateau et des verres, et, ma foi, comme il n’y a pas de table, elle a posé le plateau aux rafraichissemens sur le cercueil entr’ouvert. L’enfant, que tout ce mouvement amuse, continue à jouer, comme à la scène précédente. Une des jeunes femmes cependant s’est penchée vers Kate, dont la blanche figure éclaire la sienne d’un faux jour blafard. Une larme tremble au bord de ses yeux, retenue par ses longs cils. Pleure-t-elle sur la morte ou sur elle-même ? « Voilà, songe-t-elle sans doute, voilà comment nous finissons ! »


V

Le portrait que Hogarth a fait de lui-même et qu’on place, d’ordinaire, en tête de ses œuvres, le représente entre cinquante et soixante ans. Les signes du déclin y sont déjà visibles. Si la bouche n’était point dégarnie de ses dents, les lèvres ne disparaîtraient pas dans le mouvement qu’il fait pour les serrer l’une contre l’autre, mouvement familier aux personnes dont les passions sont vives et médiocrement bienveillantes. Hogarth a voulu qu’on reconnût en lui, au premier regard, un railleur ; on reconnaît, de plus, un homme fier et quelque peu irascible, plus enclin à se moquer des autres qu’à supporter lui-même la moquerie. Auprès de lui apparaît Pug, le fidèle bouledogue. Le maître et le chien ont un air de famille ; même droiture, même entêtement, même courage et même instinct de la bataille. Avec le bœuf, dont il fait sa principale nourriture et dont il semble s’assimiler à la longue la robuste et patiente énergie, le bouledogue complète l’animalité du grand artiste.

À cette époque, il était « arrivé. » II possédait maison de ville et maison de campagne, et c’est dans son propre carrosse que Mrs Hogarth se rendait de Leicester-Fields à Chiswick. William allait bientôt être nommé peintre ordinaire du roi. Avec les honneurs et les