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d’une jeune fille. Le père y sera pris tout autant qu’elle, car il n’est guère moins naïf que son enfant. Que la vieille dame propose de prendre la jeune fille avec elle comme demoiselle de compagnie, et les pauvres-gens ne croiront pouvoir assez remercier leur bienfaitrice. Le vicaire, enchanté d’avoir placé sa fille chez une personne aussi distinguée, prend congé d’elle avec cette double recommandation : « Fais ce que te dira cette dame, et aie soin de la malle. »

Hogarth, cependant, ne veut pas que nous y soyons trompés. Un je ne sais quoi de faux dans le sourire de la matrone, un je ne sais quoi d’invraisemblable, d’insolite et d’emprunté dans sa toilette nous avertit qu’elle est, non pas habillée, mais déguisée en femme du monde. Les clés de Hogarth mettent un nom sous cette vilaine figure : c’est maman Needham, une procureuse célèbre. A quelques pas se tient le colonel Gbarteris, un vieux libertin en quête de primeurs. C’est lui qui fait les frais de la comédie, mais c’est à son profit qu’elle se donne. Aussi en suit-il le progrès avec un intérêt très vif. Il jouit, par avance, de cette rougeur, de ces paupières baissées, de cette charmante gaucherie…

Au second tableau, les choses ont bien changé. C’est au romancier qu’il appartient de nous raconter la métamorphose, — souvent bien rapide, — de la vierge en courtisane ; le peintre ne peut qu’enregistrer le fait accompli. Voici donc Kate dans toute la splendeur des filles entretenues. De plus, elle est déjà entrée dans l’esprit de son nouveau rôle, puisqu’elle est impertinente, fantasque et infidèle. Ne cherchez point Charteris, vous ne le trouveriez plus. Il est loin : depuis la dernière rencontre, il est allé plus d’une fois attendre le coche d’York. Pendant qu’une camériste intelligente reconduit prestement « l’amant aux bouquets, » Kate fait une scène à l’amant en titre, qui la regarde d’un air humble et navré. Il appartient à la nombreuse famille de ceux qu’un auteur dramatique de notre temps a baptisés les jocrisses de l’amour. Quant à elle, elle n’est même pas en colère : c’est une diversion, un jeu joué ; sa figure n’exprime rien qu’une dédaigneuse maussaderie. Du bout de sa mule, elle renverse l’élégante petite table qui porte son déjeuner. Plateau de laque et théière du Japon, tout va se briser. Qu’importe ! Son métier n’est-il pas de gaspiller et de détruire ?

Entre le second et le troisième tableau, nouvelle transformation, nouvelle étape. Kate, tombée à la galanterie au jour le jour, a cherché refuge dans une chambre banale de Drury-lane. Elle vient de se réveiller. Heure délicieusement gaie dans la vie des ménages honnêtes et des gens de labeur ! Heure ineffablement lugubre et désolée, dans l’existence de la courtisane I C’est le moment où elle