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d’Américains maintenant comptent moins qu’au dernier siècle 10,000 Allemands par rapport à 100,000 Américains. Aussi longtemps que l’augmentation de la population aux États-Unis sera en rapport avec les progrès de l’émigration, la situation relative des deux élémens ne changera pas. D’ailleurs les immigrans anglais et irlandais sont encore plus nombreux que les Allemands. L’idée de fonder des états exclusivement allemands en Amérique est une pure utopie.

Émigrer, c’est quitter le pays natal avec la volonté de s’établir ailleurs sans intention de retour. Celui qui cède à cette détermination espère satisfaire au dehors ses besoins mieux que dans sa patrie. Nul ne se décide à rompre avec son passé sans la perspective d’un avenir meilleur, d’un établissement plus conforme à ses aspirations. Dès lors, les règlemens de police invoqués dans un récent congrès des économistes allemands réunis à Berlin pour discuter la question de l’émigration et de la colonisation, afin de diriger les émigrans allemands dans des colonies allemandes officielles, restent sans effet. Les partisans des colonies nationales ont cherché à calculer les pertes causées à la nation par le départ des émigrans. Ces pertes sont plus apparentes que réelles. Malgré le départ de 3 à 4 millions d’individus pour l’Amérique, la population de l’Allemagne n’en a pas moins doublé en l’espace de soixante ans ou à peu près. En même temps, le commerce allemand avec les États-Unis s’est développé dans une mesure considérable, simultanément avec les progrès de l’émigration. Brème, qui exportait pour 12 millions de marcs de marchandises en 1844, en a exporté, en 1872, pour 105. Les lignes de navigation et de marine, organisées surtout pour le service des émigrans, ont augmenté comme celles de Hambourg en proportion de l’émigration. D’après les Statistical Abstracts des États-Unis, les importations allemandes dans les ports de l’Union américaine se sont élevées de 9,663,743 dollars en 1863, à 61,491, 756 dollars en 1873 contre une exportation de 16,861,274 à 60, 124,410 dollars d’Amérique en Allemagne pour ces mêmes époques respectives. Pendant la guerre de 1870, les Allemands établis de l’autre côté de l’océan ont envoyé à la société de secours aux blessés une collecte d’un million de dollars et des offrandes semblables sont arrivées d’Amérique à Berlin a la suite des dernières inondations du Rhin en 1882. En même temps, les citoyens allemands des États-Unis sont intervenus auprès du gouvernement de Washington afin d’empêcher les croiseurs français de mettre la main sur les navires allemands à la sortie des ports de l’Union. Les bras et les capitaux emportés par les émigrans ne constituent donc pas une perte sèche sans compensation pour la mère patrie.