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en 1874, a rattaché le compte de liquidation au budget général, il a fait une œuvre excellente, parce qu’il est revenu à l’unité de budget.

La création du budget sur ressources extraordinaires, en 1878, a été tentée avec l’idée que l’unité du budget n’en serait pas troublée ; les deux budgets n’en devaient faire qu’un seul ; c’était comme une section nouvelle qui prenait place, dans les tableaux, à la suite des autres. Mais le lien qui unissait les deux budgets était trop faible, et il a été brisé par les chambres. Ce lien, est-il possible de le renouer ? Peu de personnes l’espèrent, et comme il faut absolument revenir à l’unité, on demande avec raison l’abolition totale du budget sur ressources extraordinaires.

Si l’unité de budget a de l’intérêt, c’est qu’on y trouve un moyen d’enlever à l’arbitraire du gouvernement tous les petits budgets occultes qu’il pourrait, autrement, soustraire à l’action du contrôle parlementaire. Il est évident que le ministère est beaucoup plus indépendant du parlement quand il mène de front plusieurs budgets à la fois. Nous avons dit que Napoléon tenait à être le maître des ressources de la guerre et à en régler les dépenses à son gré ; il n’avait pu y arriver que parce qu’il avait conservé, en quelque sorte pour son usage personnel, un compartiment du budget. Les ministres pourraient aisément entraîner le parlement dans des dépenses d’une justification plus ou moins difficile, s’ils pouvaient faire discuter les uns après les autres une série de budgets qui n’auraient aucun lien entre eux.

Les partisans de la suppression du pouvoir ministériel disent qu’ils ne veulent pas détruire l’action administrative, mais simplement l’absorber au profit du parlement. Et ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’ils permettent au parlement de faire contre le pays tout ce qu’ils reprochent aux ministres de tenter quelquefois contre le parlement. La rupture de l’unité du budget étant considérée comme le moyen le plus sûr qu’un ministère puisse employer pour annuler le contrôle parlementaire, ils sont tout prêts à rompre l’unité pour annuler le contrôle du pays sur les actes du parlement. Ce serait pourtant pousser un peu loin la passion de la représentation nationale que de laisser à cette représentation le moyen de tromper le pays ; mais il y a des gens qui ont l’idolâtrie de la représentation du peuple, et qui pensent que le pays n’a besoin de prendre aucune garantie contre les abus d’autorité d’une assemblée. Herbert Spencer compare cette idolâtrie au fétichisme des sauvages, avec cette différence en faveur des sauvages que leur fétiche ne parle pas, ce qui fait qu’on n’a aucun moyen de le juger.