Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi, et que je sois blâmé ou non, cela m’est indifférent, complètement indifférent… » Le chancelier de Berlin a même trouvé le moyen, il y a quelque temps, de prendre à partie M. Gladstone et les hommes d’état anglais parce qu’ils n’entendent pas comme lui le régime parlementaire, parce qu’ils font de l’Angleterre une république aristocratique. Il prétend, lui, gouverner d’une autre façon et n’être pas à la merci d’un parlement. Après cela, avec ses députés, M. de Bismarck a toujours l’avantage de pouvoir leur dire que si on les avait écoutés, si on s’était laissé arrêter par leur veto, si le roi. Guillaume, en vrai souverain parlementaire, avait sacrifié son premier ministre à leurs défiances, l’Allemagne, n’existerait pas. L’Allemagne existe, cela n’est pas douteux, et elle existe surtout par l’indomptable volonté de l’homme qui ne l’a pas seulement créée par le fer, qui depuis quatorze ans est occupé à la consolider par sa diplomatie.

Telle qu’elle existe cependant, même encore aujourd’hui, cette Allemagne que le chancelier peut se flatter d’avoir créée, est-elle si complètement hors de péril ? On ne le dirait pas à suivre ce procès qui vient d’être jugé devant la haute cour de Leipzig, à voira combien peu il a tenu que souverain, princes, généraux Tussent emportés par une explosion de dynamite, il y a quinze mois, le jour où ils montaient au Niederwald pour inaugurer la statue de la Germania, élevée sur ces sommets en l’honneur de la résurrection allemande. M. de Bismarck a beau s’évertuer avec ses projets de socialisme d’état, qu’il prétend imposer comme le grand remède à son parlement, il peut s’apercevoir qu’il ne désarme pas les colères farouches qui grondent dans les bas-fonds de la société allemande et dont un des principaux accusés, en avouant son crime, s’est fait l’âpre et implacable interprète. Il peut voir par là qu’il y a d’autres dangers en vérité plus sérieux que les usurpations parlementaires. M. de Bismarck a réussi en tout jusqu’ici, c’est assez évident ; il a réussi dans sa politique intérieure en abusant de ses avantages vis-à-vis de son parlement, comme dans sa diplomatie, en jouant d’une main habile et hardie avec toutes les alliances, même un peu, à ce qu’il parait, avec l’alliance de la France. Il reste à savoir si cette habileté réussira jusqu’au bout ou si elle n’aura fait qu’ajourner de plus dangereuses épreuves pour l’Allemagne et pour l’Europe.


Ch. de Mazade.