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peine d’être discutée, comme on n’y peut pas prononcer un jugement de quelque poids, qui ne soit l’abrégé de toute une dissertation morale et l’expression du parti que nous avons pris sur un point de casuistique. De quelque façon que nous jugions le jugement de Louis XVI et, à plus forte raison, celui de Marie-Antoinette, ce n’est pas sur un point de politique, c’est sur une question de morale que nous prenons parti. Pareillement, si nous formulons une opinion quelconque sur l’action fameuse de Charlotte Corday, c’est un cas de conscience que nous décidons. Pareillement encore, c’est une discussion de casuistique d’où nous sortons, par le jugement, quel qu’il soit, que nous portons sur le 18 brumaire. Dans chacun de ces trois exemples, que nous le sachions ou non, nous avons prononcé jusqu’à quel point, selon la parole historique, il était permis « de sortir de la légalité pour rentrer dans le droit, » et, — triste démonstration de la nécessité de la casuistique ! — il n’est peut-être pas un historien qui n’ait différemment jugé de la valeur morale de ces trois actes. C’est qu’aussi dans chacun d’eux le cas qui se propose d’abord à nos réflexions se complique d’un cas particulier, non moins difficile et non moins délicat à résoudre. Dans le cas de Bonaparte, en même temps que sur le conflit du droit et de la loi, nous nous prononçons sur la maxime tant discutée : « Si la fin justifie les moyens. » Dans le cas de Charlotte Corday, nous nous prononçons sur la doctrine tant décriée de la « direction d’intention. » Et, dans le cas enfin de Marie-Antoinette ou de Louis XVI, nous nous prononçons sur la question de savoir si la nécessité d’état peut jamais souffrir qu’on juge un accusé sur une loi qu’il n’a pas consentie. Dira-t-on que, comme les romanciers ou les dramaturges, nous ayons pris ces cas de conscience en dehors de la réalité ? dira-t-on qu’à l’imitation des casuistes, nous les avons imaginés pour le plaisir de faire douter d’elle-même la conscience de l’humanité ! Mais, si l’on ne peut pas le dire, ne reconnaîtra-t-on pas que la casuistique est née parmi les hommes d’une nécessité à laquelle ils essaieraient inutilement de se soustraire ?

Maintenant, pour les casuistes, et quant au mal qu’ils ont pu faire à la casuistique elle-même, après l’avoir dit nettement, je voudrais cependant ajouter quelques mots. Je ne ferai remarquer ni qu’ils écrivaient pour les confesseurs et non pas pour les fidèles, ni qu’ils avaient si bien dissimulé leurs décisions derrière le double rempart du latin scolastique et de l’in-folio grand format que peut-être les ignorerions-nous si Nicole et Pascal n’avaient cru devoir prendre la peine, en les mettant en français, de les mettre à la portée d’un public pour lequel elles n’étaient point faites. Je le pourrais, mais je ne le fais point Je ne ferai pas remarquer non plus que depuis qu’Escobar a succombé sous les coups de son terrible adversaire, — dans une de ces rencontres où les jésuites, quoique si habiles gens, n’ont manqué de rien tant que de