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et ses amis n’étaient pas plus heureux. Richecourt parlait de l’enlever ; il s’y refusa, voulant suivre les règles et n’être pas accusé de parjure.

Finalement, en novembre, il fut informé que sa demande était accueillie ; on ne lui faisait point connaître sa destination nouvelle. Pour l’apprendre, il dut faire le voyage de Florence. A l’auberge où il était descendu, il reçut un billet très complimenteur du père Ambrogi, qui, se réjouissant de ce que l’excellentissime seigneur docteur fût venu dans la ville, l’invitait à passer au saint-office, où on lui ferait connaître sa résidence. Mais on avait ouï parler de trop de gens qui avaient ainsi disparu pour qu’un échappé de l’inquisition se remît dans la gueule du loup. Peut-être murmurait-il le vers de notre bon fabuliste, qu’il avait traduit :


Car, quand tu serais sac, je n’approcherais pas.


Il avait, d’ailleurs, assuré ses derrières : Richecourt approuvait fort qu’il déclinât cette inquiétante invitation.

L’ordre n’arriva que quelques jours plus tard pour Crudeli de se rendre à Pontedera, non loin de Pise, dans le val d’Arno inférieur. L’air y est assez doux, mais les commodités, encore aujourd’hui, y sont nulles : l’interné n’y pouvait avoir ni livres, ni amis, ni médecins ; un paesetto, comme il l’écrivait ; un trou, comme nous dirions. Le voilà donc réduit à solliciter de nouveau : à grands cris, il demande Pise, d’un climat si égal et si chaud, grâce à son heureux paravent de montagnes, une ville enfin, où il y a des hommes, des lettrés, des professeurs, des docteurs, des médecins. Mais les cardinaux de la congrégation, fatigués de ces réclamations incessantes, irrités de la pression que prétendait exercer sur eux l’odieux Richecourt, faisaient la sourde oreille. Enfin, pour n’entendre plus parler de cette affaire, le 10 décembre, ils faisaient communiquer au suppliant par le père inquisiteur cette réponse d’une ironie cruelle quoique discrète, que « en considération de Son Excellence le comte de Richecourt, la sacrée congrégation permettait au condamné de se rendre, loco carceris, en tout village à son gré, les villes de Florence, Sienne, Pise, Livourne, lui restant interdites. » Ce n’était pas la peine de quitter un trou pour un autre. Crudeli resta donc à Pontedera tout l’hiver. Au mois d’avril suivant (1741), l’excellent nonce Archinto lui faisait obtenir, en provoquant l’intervention du nouveau pape, Benoît XIV, sa liberté pleine et entière.

C’était trop tard pour qu’il se pût rattacher à la vie. Sentant qu’elle allait bientôt lui échapper, il n’en disputait plus à la marâtre nature les heures comptées. Au séjour de Pise il préféra le séjour