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III

« Faire un exemple, un exemple unique, mais éclatant, » tel était le but à poursuivre. Il fallait donc, avant tout, recueillir contre la victime désignée des dépositions suffisantes pour étayer un procès. a Dans Florence, vivait alors un médecin, » nommé Bernardino Pupiliani, qui avait la langue longue et rapportait à qui voulait l’entendre ce qui se disait dans les conversazioni, mot équivalent à notre mot de salons. On y débattait, racontait-il, les questions les plus hardies ; Est-il vrai que la terre tourne ? L’âme est-elle immortelle ? Y a-t-il un purgatoire ? Le monde est-il l’œuvre de Dieu ou du hasard ? Il se déclarait, quant à lui, pour les solutions les moins orthodoxes, et il se vantait de connaître les secrets des francs-maçons. Comment obtenir que ces paroles, qu’il semait aux quatre vents de la ville, il les déposât dans une oreille ennemie, attentive à les recueillir ? Pour son malheur, le bavard avait abusé de ses fonctions d’esculape et noué galanterie avec une certaine Catherine Giardi. Cette vertu facile, désespérant d’être épousée de bonne grâce, se prétendait, pour l’être de force, séduite et enceinte. En attendant le procès qui lui pendait à l’oreille et qui pouvait aboutir à la constitution d’une dot, à la prison, à l’exil, et peut-être en vue de le conjurer ou de l’amoindrir, le trop galant docteur tenait à faire ses pâques, dont le temps approchait : en ce temps-là, d’ail-leurs, les incrédules comme les croyans devaient subir ces fourches caudines, sous peine d’une excommunication qu’on affichait, et qui les mettait au ban de la société.

Pour se préparer dignement, notre homme s’était condamné à faire une retraite dans la maison d’exercices spirituels que les jésuites avaient ouverte sur cette ravissante colline de San-Miniato, au pied de laquelle coule l’Arno et dort Florence. Son confesseur, le bon père Pagani, entendant ses aveux horribles, refusa de lui donner l’absolution et l’envoya se pourvoir auprès de l’inquisiteur lui-même. Ce n’était pas l’affaire de Pupiliani : en venant chez les jésuites, qui passaient pour avoir la manche large et pratiquer les accommodemens avec le ciel, il s’était flatté de « ‘en tirer à bon compte. Mais aller au saint-office ? Il préférait ne pas s’approcher de la sainte table. En vain le père Pagani essayait-il de l’amadoue tandis qu’ils prenaient le chocolat ensemble : la peur le faisait courageux.

Ce que le jésuite n’avait pu obtenir, un chanoine l’obtint. C’était un ami du médecin, nommé Guadagni. Spontanément ou de force, — et par des argumens qui ne sont pas connus, — il le conduisit