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personnes présentes, sauf le Prussien, força celui-ci d’avaler de l’émétique, qui lui fit rendre aussitôt son torero aux éclats de rire de l’assistance. On l’accusait, dans son trafic, de tromper les fils d’Albion en leur vendant à des prix fous de fausses antiquités. D’eux tous, en conséquence, il était haï, méprisé. « C’est un homme, écrivait Walpole, d’un caractère infâme à tous égards. » Aussi les francs-maçons, pour éviter, dans leur loge, sa répugnante compagnie, avaient-ils fixé au samedi leurs réunions : ce jour-là partait le courrier de la poste, et Stosch était retenu chez lui pour rédiger, pour expédier les rapports de son espionnage. Mais, affilié à la société, il faisait rejaillir sur elle, quoi qu’on en eût, son fâcheux renom.

Le résident de Lucques attribuait à l’université de Pise la principale part dans l’introduction de la maçonnerie en Toscane. Il en signalait les dangers pour « notre sainte foi. » On accuse les maçons, disait-il, de ne voir aucun péché à user des femmes, de ne croire nécessaires ni la confession ni le maigre du vendredi, de dire ouvertement qu’un lettré ne doit pas avoir de préjugés, que des idiots seuls : peuvent croire à l’aveuglette, ce en sorte qu’un bon catholique romain passe, parmi eux, pour un ignorant. » L’archevêque et l’inquisiteur font de grands efforts pour extirper cette secte, mais c’est chose malaisée avec un gouvernement tel que celui du grand-duché. Ce qui sauve le pays, c’est que les francs-maçons restent en petit nombre et ne peuvent paraître bien redoutables. Que craindre de lettrés, d’ecclésiastiques réduits à se cacher dans l’ombre, d’un Middlessex qui fait jouer un opéra sur le théâtre de la Pergola, qui pense à en faire jouer un autre sur le théâtre de Lucques ? Et le résident, homme pratique, s’empresse d’ajouter : « Il ne faudrait pas l’en décourager, car Lucques aurait ainsi, sans délier les cordons de sa bourse, un divertissement capable d’attirer en foule ces étrangers, qui toujours laissent après eux beaucoup d’argent. » Mais il prêchait au désert : son gouvernement repoussait bientôt l’opéra gratuit de la main d’un franc-maçon. Il faut craindre les Grecs, même en leurs présens.

Déjà était engagée entre eux et les jésuites une vive guerre de plume, simple escarmouche, car, depuis les Provinciales, la compagnie de Jésus n’avait plus qu’une confiance médiocre, pour s’assurer la victoire, dans les talens de ses champions. Elle maniait mieux d’autres armes : elle obtenait qu’une réplique du savant Lami fût brûlée par le bourreau et que Clément XII, en des conférences secrètes où fut appelé l’inquisiteur de Florence, s’occupât de l’affaire, Le 28 avril 1738, la fameuse bulle In Eminenti condamnait la secte maçonnique, enjoignait aux catholiques de n’y point adhérer, aux évêques et aux inquisiteurs de poursuivre pour hérésie