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témérité peu commune. Tous les jours, il montait dans une galerie qui entourait le bas du ballon et se laissait enlever, d’abord timidement, à une faible hauteur ; puis tous les jours, il augmentait l’altitude de l’excursion, en présence du public, qui l’encourageait et qu’il aimait à satisfaire. Il finit par atteindre 324 pieds ; de là il dominait Montmartre, embrassait tout l’horizon et ne cessait d’affirmer que ces voyages étaient absolument sans danger. Giroud de Villette et, plus tard, le marquis d’Arlandes, major d’infanterie, qui avaient accompagné Pilatre, confirmaient ses récits et partageaient sa sécurité. Tout était mûr pour essayer dans l’atmosphère un voyage en ballon libre.

Le premier eut lieu le 17 octobre 1783 dans les jardins de La Muette. Ce ne fut pas sans de grandes hésitations qu’il fut autorisé. Le roi et Montgolfier lui-même étaient anxieux. Lancer en l’air deux personnes dans une galerie de bois, avec une provision considérable de paille, près d’un ardent foyer qui pouvait y mettre le feu et le communiquer sur son passage de haut en bas, paraissait une témérité coupable. Le roi consentit à la fin, à la condition de remplacer les aéronautes par deux condamnés, à qui l’on ferait grâce, mais Pilatre ne voulait céder ni l’honneur du danger ni la gloire du succès. Ce fut le marquis d’Arlandes qui tranquillisa les consciences par ses récits et leva les difficultés en se proposant lui-même pour être le compagnon de Pilatre. Tout alla bien ; ils atteignirent 3,000 pieds, traversèrent Paris tout entier et descendirent au moulin de Croulebarbe. La montgolfière avait donc suffi pour les porter ; mais si elle s’échauffait vite, elle se refroidissait plus rapidement encore. On ne put la maintenir en l’air qu’à la condition de forcer le feu et d’épuiser la provision de combustible.

La réponse de Charles à ce défi de Pilatre ne se fit point attendre. Accompagné de Robert, Charles partit du jardin des Tuileries avec le même concours de spectateurs, les mêmes coups de canon, le même enthousiasme du public. Il avait perfectionné sa machine, inventé la soupape, le lest, le filet, la nacelle, rendu l’enveloppe imperméable, accéléré le remplissage, amené enfin l’art de l’aérostation à un degré de perfection qui n’a guère été dépassé. Ce fut une remarquable ascension ; en deux heures, le ballon avait atteint Nèfles, à 9 lieues de Paris. Au moment même où y arrivait le duc de Chartres, qui avait suivi au galop, à travers champs, Robert descendit, Charles resta dans la nacelle, et le ballon, allégé, commença un nouveau voyage. Le hasard voulut qu’il rencontrât deux courans contraires ; le premier l’éloignait, le second le ramena au point de départ. A partir de ce moment, la supériorité du ballon sur la montgolfière ne fut plus contestée.