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nisme dans ces contrées. Peu à peu, des colonies allemandes étaient venues de la Thuringe et des bords du Rhin, comme il ressort de la présence du dialecte frank dans le grand-duché de Posen ou du patois alsacien de Wissembourg, parlé par les maraîchers de Breslau, en Silésie. Pendant longtemps, les empereurs d’Allemagne livrèrent de sanglans combats entre l’Elbe et l’Oder, à la suite desquels se multiplièrent les établissemens allemands en territoire slave. Non moins sanglantes ni moins longues furent les luttes des chevaliers de l’ordre teutonique contre les Prussiens ou Pruczi, qui demeuraient dans la Prusse orientale, entre la Vistule et le Niémen. Ces peuplades païennes semblent avoir été reliées entre elles par une organisation sacerdotale commune analogue à celle des Suèves lors de l’arrivée des Romains en Germanie. Elles avaient été visitées par des missionnaires chrétiens dès la fin du Ⅹe siècle. L’ordre des chevaliers porte-glaives, secondés par les chevaliers teutoniques, dont l’institution date de l’année 1191, ajouta aux prédications la force des armes pour subjuguer les Prussiens. Chaque nouvelle acquisition de territoire était assurée par la construction d’un château fort, autour duquel s’élevaient des villes peuplées de colons allemands. Telle a été l’origine de Thorn, de Culm, de Marienwerder, de Graudenz, de Marienburg, de Kœnigsberg. Ces forteresses, élevées sur les bords de la Vistule, du Nogat et du Pregel, défendent encore aujourd’hui les frontières prussiennes du côté de la Russie. Le nombre des Prussiens qui parlent encore leur langue primitive dans les relations de famille, au foyer domestique, ne dépasse guère 150,000 individus, peu mélangés d’Allemands et entourés de Polonais.

Hermann Berghaus et Richard Boeckh se sont livrés à des études approfondies sur la langue parlée par les habitans des différentes parties de l’Allemagne et sur les rapports des Allemands avec leurs voisins de langue étrangère. Dans sa statistique de la population Berghaus a cru pouvoir dire, dès 1845, en propres termes, qu’il n’y a pas de peuple prussien : Es giebt kein preussisckes Volk ! Le nom de Preusse, Prussien, signifierait homme des bois, comme orang-outan en langue malaie. Il s’appliquait aux riverains du Russ à peu près de la même manière que les Alsaciens ont emprunté leur nom allemand d’Eisässer à l’Ill, rivière qui traverse leur pays. Le Russ forme la branche septentrionale du delta de la rivière Memel ou Niémen, où Napoléon a fait signer en 1807 au roi de Prusse, sur un pont de bateaux, son traité de Tilsitt. L’autre branche du delta est la Gilge. Toutes deux débouchent dans la lagune kurienne, Kurische Haff, sur le littoral de la mer Baltique. Gardons-nous de confondre l’antique pays prussien, le Preussenland des historiens philologues, avec le royaume de Prusse des géographes et des hommes d’état.