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assemblée prétendue omnipotente à voter la loi des finances, à établir le budget de la France. Oui, en vérité, c’est là qu’on en est à l’heure présente. Depuis sept ou huit mois que la chambre est saisie du budget, que la commission est à l’œuvre, on n’a pas pu arriver à éclaircir la situation financière, à se décider pour un système, à préparer le prochain exercice, et maintenant le budget, que le sénat ne connaît même pas encore, ne peut plus être voté d’ici aux derniers jours de l’année. Que va-t-on faire ? On en est à se débattre entre tous les expédions. Aura-t-on recours à ces douzièmes provisoires que M. le président du conseil, dans sa fierté, a déclarés un jour humilians ? Demandera-t-on le vote des recettes et des dépenses d’un trimestre dans les conditions du dernier budget ? Prendra-t-on pour règle les propositions du gouvernement ou les crédits déjà votés par la chambre ? De toute façon, c’est l’arbitraire laissant le pays sans garantie ; c’est la confusion, de sorte que ces étranges républicains qui n’ont su donner à la France ni la paix extérieure, ni la paix constitutionnelle, ni la paix morale, ne savent pas plus lui donner la clarté et l’ordre dans les finances. C’est la moralité de cette politique de parti à la fois agitatrice, présomptueuse et impuissante.

Lorsque M. le président du conseil de France, dans un récent discours, énumérait les grands pays parlementaires sur lesquels il prétendait se régler, il avait certes raison de mettre au premier rang l’Angleterre, et c’est par les grands côtés qu’il aurait dû se proposer de lui ressembler. Les Anglais sont assurément une nation avec qui il n’est pas toujours facile de vivre en bonne amitié. Ils ont l’orgueil de -ace, le soin jaloux et ombrageux de leurs intérêts, leurs âpretés, leurs passions ou leurs défaillances, et comme d’autres ils peuvent commettre des fautes ; mais un moment vient où ils se retrouvent avec leurs fortes qualités, leur bon sens et cet esprit politique qui est dans leur tempérament. Ils font du régime parlementaire, non une fiction ou un vulgaire instrument de parti, mais un moyen viril de débattre, de régler leurs intérêts. Même dans ces affaires d’Egypte, qui ont été si souvent discutées, où ils n’ont pas brillé jusqu’ici, ils ont leur manière à eux de se conduire, et si les propositions financières qu’ils ont communiquées récemment à la diplomatie européenne restent très discutables entre les cabinets, il y a un point où ils montrent leur tenace résolution. Si un des leurs s’est aventuré, comme l’a fait Gordon, pour l’honneur de l’Angleterre, ils ne l’abandonnent pas, quoiqu’ils mettent du temps à le secourir. Ils préparent une expédition, et dernièrement encore, avant de s’engager sur la route de Khartoum, lord Wolseley adressait à ses soldats une allocution où il leur promettait des dangers, des fatigues, des privations, où, après leur avoir montré le but, la délivrance de Gordon, il ajoutait fièrement qu’il n’avait rien de plus à dire à des soldats anglais. C’est un ordre du jour qui