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adversaires et de terrifier les gens paisibles. De tout temps, l’Irlande, dans ses agitations, a subi plus ou moins l’influence des pays étrangers. En 1793 et en 1848, elle cherchait des exemples en France. Lord Edouard Fitzgerald était un élève des révolutionnaires français du XVIIIe siècle. Les chefs de la jeune Irlande avaient pris pour modèles nos républicains de 48. Depuis, les temps étaient changés et les habitudes aussi. Il y a des modes pour les révolutions comme pour le reste. La commune de 1871 et le nihilisme russe avaient mis en honneur l’emploi de ce qu’on appelle les procédés scientifiques. Les révolutionnaires irlandais, pour suivre le courant, ont voulu, eux aussi, employer les procédés scientifiques, c’est-à-dire les bombes de dynamite ou de picrate de potasse. Jusqu’à présent, ils ont manié ces engins de destruction avec beaucoup moins d’habileté que les nihilistes russes. Ceux-ci ont fait sauter un empereur. Les révolutionnaires irlandais, jusqu’à présent, n’ont fait sauter personne. Ils n’ont pas cependant épargné les tentatives ; ils les ont multipliées au contraire. L’année 1884, dans l’histoire de la révolution irlandaise, pourrait être appelée l’année de la dynamite. Le 26 février dans la soirée, une explosion avait lieu dans la gare de Victoria, sur le chemin de fer de Londres à Brighton. Beaucoup de dégâts matériels, deux hommes blessés, mais personne de tué. Mise en éveil par cette tentative, la police découvrait des machines infernales dans les gares de Paddington, de Charing-Cross et peu de jours après dans celle de Ludgate-Hill. Une fraction de l’émigration irlandaise en Amérique se vanta publiquement d’avoir préparé ces attentats. Les machines infernales découvertes par la police furent examinées et démontées. Elles étaient de provenance américaine ou française ; elles avaient été bien conçues et bien construites ; mais les derniers apprêts, faits en Angleterre, n’étaient pas à la hauteur de la fabrication.

Il fallait s’attendre à de nouvelles tentatives du même genre. Les crimes politiques, comme les crimes ordinaires, procèdent généralement par séries. La police anglaise, à partir de ce moment, ne cessa pas de surveiller les colis suspects de provenance américaine ou française. Dans les premiers jours d’avril, elle fit plusieurs captures importantes. à Birkenhead, elle mit la main sur le dépôt de dynamite et de bombes chargées. Elle arrêta le dépositaire de tous ces engins, un fenian nommé Daly, ainsi qu’un de ses amis, nommé Egan, chez lequel il avait logé à Birmingham. Depuis la fin de 1883, Egan et Daly étaient secrètement surveillés. A Londres, on arrêtait en même temps un nommé Fitzgerald, considéré comme un membre important de la société secrète des Invincibles. On l’envoyait en Irlande pour le faire passer aux assises du comté