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comté de Cavan, fut rayé de la liste des juges de paix du comté. On sait combien les grands propriétaires anglais tiennent à ces fonctions gratuites, qui contribuent puissamment à leur prestige et à leur influence. Il y eut un vif mouvement d’indignation parmi les Anglo-Irlandais. Les juges de paix du comté de Cavan protestèrent en masse contre la destitution de leur collègue. Des meetings furent convoqués pour rédiger et signer des adresses à lord Rossmore. Une de ces adresses portait quinze mille signatures : elle venait de la ville de Belfast.

Les orangistes ne paraissaient donc pas disposés à reculer. Les nationalistes, de leur côté, enhardis par les succès qu’ils avaient obtenus depuis quelques années, encouragés par les sympathies qu’ils croyaient avoir dans le gouvernement, marchaient de l’avant. L’année 1884 s’ouvrit dans ces conditions. Jamais, depuis longtemps, l’Irlande n’avait paru plus près d’une guerre civile. Le 1er janvier, deux meetings, l’un nationaliste, l’autre orangiste devaient se réunir à la même heure et dans la même ville, à Dromore, dans le comté de Tyrone. L’autorité n’osa pas interdire ces deux réunions ; elle se borna à prendre des précautions pour éviter un conflit. Les deux partis, en effet, après s’être réunis aux deux extrémités de la ville et s’être échauffés par des discours violens, faillirent en venir aux mains. Ils furent dispersés par la cavalerie et les constables. Dans la bagarre, deux protestans furent mortellement blessés. Les loges orangistes et les associations loyalistes protestèrent contre l’attitude de la police dans cette circonstance. Elles accusèrent les agens de partialité en faveur des nationalistes. Une plainte pour meurtre fut portée contre un constable, auteur des blessures auxquelles avait succombé un des deux protestans.

Huit jours après, meeting nationaliste à Glonmell en l’honneur de Michel Davitt. Cette fois, les séparatistes étaient seuls. Il n’y avait pas à craindre de conflit. Michel Davitt y exposa la théorie de la confiscation et du partage des terres sans indemnité pour les propriétaires. D’autres meetings étaient annoncés : un meeting nationaliste pour le 16 janvier à Enniskillen, deux meetings opposés pour le 21 janvier, dans le comté de Londonderry, deux autres encore, en sens opposé, pour le 29 janvier, dans le comté de Down. On aurait vu se renouveler des scènes analogues à celles de Dromore. L’administration, en vertu des pouvoirs extraordinaires qui lui étaient conférés par la dernière loi d’exception, interdit ces diverses réunions. Les orangistes obéirent aux prescriptions de l’autorité ; les nationalistes essayèrent parfois de passer outre ; leurs réunions furent dispersées par la police. Ce mouvement de meetings et de contre-meetings, qui aurait pu prendre une tournure grave, fut arrêté pour le moment.