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catholique d’Irlande, l’archevêque Croke. La cour de Rome ne vit pas d’un bon œil le clergé irlandais se mêler ainsi à la politique. Le sage Léon XIII a pour principe que l’église doit essayer de vivre en bons termes avec tous les gouvernemens. Du temps d’O’Connell, l’église tout entière était du côté de l’Irlande contre l’Angleterre ; c’était bien naturel, il s’agissait d’obtenir l’émancipation des catholiques. La cause qui se débattait était la cause de l’église elle-même. Aujourd’hui, au contraire, les questions qui s’agitent entre l’Angleterre et l’Irlande sont des questions politiques, des questions sociales, mais non point des questions religieuses. Il serait donc plus conforme à la doctrine et aux traditions de l’église de ne pas intervenir dans cette lutte. Déjà, lorsque M. Parnell s’était présenté, quelques années auparavant, comme candidat pour le siège parlementaire de Cork, l’évêque de cette ville avait recommandé à son clergé de rester étranger à l’élection. Ses instructions ne furent pas suivies : le clergé irlandais est un clergé essentiellement national. Il désobéit en masse à son évêque et vota avec enthousiasme pour le protestant Parnell.

On s’était insurgé contre un évêque. Oserait-on s’insurger contre le pape lui-même ? La question allait se poser à l’occasion de la souscription Parnell. Une lettre venue de la COUP de Rome, revêtue des signatures du cardinal Simeoni, préfet de Rome, et de M. Jacobini, secrétaire de la congrégation de la propagation de la foi, se prononça contre cette souscription. Le coup était imprévu ; on fit courir le bruit qui avait été provoqué par les démarches d’un agent officieux du gouvernement anglais auprès de la cour de Rome. Il irrita les parnellistes, mais il ne les troubla point. Ils relevèrent le gant avec une extrême vivacité. M. Davitt déclara que la meilleure réponse à faire à la lettre du Vatican, c’était de grossir le chiffre de la souscription projetée. M. Healy, qui était encore détenu en ce moment, écrivit du fond de sa prison de Richmond, près de Dublin, peur dénoncer à l’indignation de l’Irlande ce qu’il appelait la conspiration anglaise du Vatican.

Un certain nombre de prêtres n’osèrent pas prendre part, au moins ostensiblement, à une souscription condamnée par Rome. Leur abstention fut compensée en partie par les adhésions nouvelles qui se produisirent à titre de protestation contre l’intervention de la papauté dans cette circonstance. Cependant la souscription n’atteignit pas tout à fait le chiffre qu’on ambitionnait. On aurait voulu avoir 40,000 livres sterling (1 million de francs), comme pour O’ConnelL On arriva au chiffre de 37,000 livres. Cette somme fut offerte à M. Parnell, à titre de don national, le 11 décembre. À cette occasion, un grand banquet fut donné dans les