Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins ne pouvant être attaqués qu’à travers les embrasures, ce sont les arsenaux et les villes qu’il faudra viser. Pour cela, les petits canons suffiront. On a calculé que le prix, du Duperré nous donnerait, outre vingt-cinq torpilleurs, dix canonnières qui lanceraient d’une seule bordée 1,200 kilogrammes de fer, presque autant que le Duperré qui en lance 1,400 kilogrammes. Mais il y aurait cette grande différence que les tirs des canonnières, étant bien plus rapides, seraient bien plus nombreux que ceux du Duperré, et que leurs 1,200 kilogrammes de fer, passant au-dessus des fortifications pour tomber en pluie de mitraille sur la ville, y produiraient des désastres, tandis que les gros boulets du cuirassé risqueraient d’avoir sur des forts blindés ou en terre le même effet médiocre que les boulets de l’Inflexible sur les fortifications d’Alexandrie. Le Duperré, attaché par sa grandeur, non au rivage, mais à la haute mer, resterait exposé à tous les assauts des torpilleurs ; les dix canonnières, comptant sur leur nombre et sur leur vitesse pour échapper au danger, se lanceraient en avant : les unes tâcheraient de démonter la grosse artillerie des forts en atteignant par les embrasures les pièces et leurs servans ; les autres tireraient sur la ville, essaieraient de forcer les passes et de pénétrer dans le port. Plusieurs couleraient ; mais qu’importe, si quelques-unes réussissaient ? On ne fait pas la guerre sans perdre des hommes et des bâtimens, et il vaut assurément mieux voir périr quelques canonnières avec leur équipage restreint que le tiers d’une escadre de cuirassés.

Dans les combats sur mer, la cuirasse étant annihilée par la torpille, nous n’avons plus besoin de canons perforans. Ce qu’il nous faut, c’est une artillerie suffisante pour arrêter un paquebot, un croiseur non cuirassé, ou tout au plus pour démolir la superstructure des cuirassés actuels et pour y détruire les servans et le service des pièces. Il y a longtemps que des marins prévoyans soutenaient que le danger le plus terrible qui pût menacer un cuirassé, dans la guerre maritime de l’avenir, serait d’être assailli, de différens côtés à la fois, par plusieurs canonnières agiles et difficiles à viser. Un boulet ordinaire, arrivant dans une de leurs tourelles, suffirait pour crever un tuyau du système hydraulique qui fait mouvoir leur artillerie et pour la réduire à l’impuissance. Les Allemands, qui semblent apporter dans la solution des problèmes maritimes l’admirable clairvoyance à laquelle ils ont dû de posséder la plus puissante organisation militaire de l’Europe, sont convaincus que les petits canons seraient en mesure de lutter avec succès, même sans le concours de la torpille, contre les grands cuirassés. Ils vont plus loin que nous : ils ne demandent pas pour cela plusieurs