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tinuait à construire des cuirassés, c’est qu’elle était assez riche pour faire des dépenses militaires peut-être inutiles. Il n’y a donc que la France qui nie tout à fait l’évidence, et qui, fière des nombreux cuirassés qu’elle a, non à flot, mais en chantiers, se borne à commander cette année à l’admirable constructeur des torpilleurs 63 et 64 sept autres torpilleurs à peu près du même type !


III.

On peut discuter à perte de vue la question de savoir si les escadres de cuirassés résisteraient à l’attaque d’une flottille de torpilleurs. Quant à nous, nous la croyons résolue par l’exemple des manœuvres de toutes les puissances européennes. Il ne s’agit plus de raisonnemens de pure théorie, il s’agit de faits d’expérience parfaitement constatés. Les nations qui, comme l’Allemagne et l’Autriche, renoncent à construire des cuirassés et commandent de nombreux torpilleurs, ont donc une vue claire et prophétique de l’avenir qui leur assurera bientôt une force maritime supérieure à celles de leurs rivales. Il y a longtemps que l’amiral Aube l’a écrit : « Une escadre, réunion plus ou moins nombreuse de cuirassés, n’est plus l’expression de la puissance navale. » Et tout récemment, l’ancien ministre de la marine du cabinet Gambetta, M. Gougeard, disait dans une brochure qui a soulevé bien des polémiques : « Il est et sera toujours profondément absurde de risquer 12 à 15 millions, et même davantage, contre 200,000 ou 300,000 fr., et six cents hommes contre douze. » Ainsi, sur ce point, les doutes disparaissent peu à peu et les défenseurs des cuirassés en sont réduits, comme argument suprême, à parler des sommes énormes enfouies dans le matériel actuel, dont il serait désastreux, à leur avis, de ne tirer aucun profit. Mais ce n’est pas tout que de reconnaître la nécessité de constituer au plus vite des flottilles de torpilleurs, la discussion recommence dès qu’il s’agit de savoir d’après quel type il faudrait construire le nouveau navire de combat. Il semble que la question devrait être résolue pour nous, puisque les torpilleurs 63 et 64 ont fait preuve de qualités nautiques et militaires tout à fait remarquables. Elle ne l’est cependant pas. À peine ces torpilleurs revenaient-ils de parcourir, en tous sens et par tous les temps, les bassin occidental de la Méditerranée, que M. Gougeard, dans la brochure dont nous venons de parler, leur reprochant d’êtres des « coquilles de noix, » incapables de tenir réellement la mer et d’affronter les tempêtes, proposait de leur substituer ce qu’on pourrait appeler un torpilleur géant, un bateau à pont blindé de 95 mètres de long, d’un tirant d’eau moyen de 4m,50 et d’un déplacement de 1,780 tonneaux. Et cette tendance à