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péennes glisser sur la pente où nous nous étions engagés les premiers, sont venus modifier le cours des idées et ramener vers la marine l’attention publique, qui s’en était trop longtemps détournée. L’instrument nécessaire de la politique coloniale, c’est la marine. Mais elle est encore autre chose. Pour un peuple comme la France, qui a une grande étendue de côtes à défendre, qui doit assurer ses relations avec l’Algérie, maintenir sa suprématie dans la Méditerranée et qui peut avoir besoin, dans une guerre continentale, d’être maîtresse de la mer afin de trouver, au-delà de l’océan, des armes et des approvisionnemens, la marine est un des élémens principaux du salut national. Dès lors, couvrir nos frontières continentales en laissant nos frontières maritimes dépourvues de protection serait faire preuve d’une imprévoyance qui risquerait d’être cruellement punie.

Il est donc naturel qu’après avoir été quelque temps délaissée pour l’armée de terre, la marine soit redevenue graduellement l’objet des préoccupations générales. Vivement émue des progrès de ses rivales, l’Angleterre s’est mise à considérer d’un œil alarmé ses flottes, jadis si puissantes, mais qui ne résisteraient plus à la coalition de deux marines ennemies. La France, obligée de vider ses ports pour soutenir ses prétentions dans les mers de Chine, s’est aperçue, elle aussi, que sa supériorité d’autrefois n’était plus assurée. Des nations plus jeunes, plus aptes à se plier au progrès, moins embarrassées de traditions, moins encombrées de matériel vieilli, l’Italie, l’Allemagne et la Russie, sont entrées en concurrence avec les deux anciennes dominatrices des mers. N’ayant pas d’outillage ancien, d’organisation séculaire, elles ont pu, dans la création de leur marine comme dans celle de leur industrie, profiter immédiatement des derniers progrès. L’Italie possède de superbes cuirassés, d’excellens croiseurs, des torpilleurs de très bonne qualité. L’Allemagne, dont la flotte est encore insuffisante, mais qui fait construire en ce moment cent cinquante torpilleurs, aura bientôt un personnel de premier ordre. La Russie organise une escadre dans la Mer-Noire. L’Autriche se développe de plus en plus sur l’Adriatique, en attendant le jour, pour lequel elle se prépare, où elle régnera sur la mer Égée. De toutes parts, on se dispute la domination des mers. Les nations qui la possédaient jadis semblent sur le point de la perdre, et, ce qu’il y a de plus effrayant pour elles, c’est que l’arme qui va détruire leur puissance est de celles que les plus pauvres, que les plus faibles même peuvent aisément se procurer. Qu’on nous pardonne, au début d’une étude d’un caractère purement technique, de citer la fantaisie d’un homme d’imagination, chez lequel nous ne savons quel don prophétique, quelle vue profonde de l’avenir s’alliait, comme un héritage de sa race, aux