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quelques années plus tôt à M. Pasteur : « Pour la première fois dans l’histoire de la science, nous avons le droit de nourrir l’espérance certaine que, relativement aux maladies épidémiques, la médecine sera bientôt délivrée de l’empirisme et placée sur des bases scientifiques réelles. Quand ce grand jour viendra, l’humanité, dans mon opinion, saura reconnaître que c’est à vous que sera due la plus large part de sa gratitude. » Ces espérances ne devaient pas être déçues. Le travail magnifique de M. Pasteur sur la maladie charbonneuse devait le premier servir de modèle, et montrer, — ce à quoi l’on ne s’attendait guère, — que la médecine peut devenir une véritable science d’observation et de raisonnement.

Les docteurs Bayer et Davaine avaient constaté, dès 1850, la présence de filamens nombreux et assez longs dans le sang d’un animal mort du charbon ; mais ils n’avaient pas tiré la conclusion de leur découverte. Vingt-cinq ans plus tard on croyait encore qu’il y avait un grand nombre de sortes de charbons : le sang-de-rate des moutons, la fièvre charbonneuse des chevaux, etc. Une étude de MM. Jaillard et Leplat, professeurs au Val-de-Grâce, n’éclaira pas la question. Ces expérimentateurs inoculèrent à des lapins le sang d’une vache morte du charbon. Les lapins moururent : leur sang fut inoculé à des cobayes, qui moururent aussi. Mais des filamens, — les bactéridies (ce nom leur avait été déjà donné), — furent introuvables ; M. Davaine pensa qu’on avait affaire à une autre maladie, qu’il appela « maladie des vaches. »

M. Paul Bert était alors occupé de ses essais sur les hautes pressions ; il soumit un sang charbonneux à une pression considérable dans le gaz oxygène, et déclara que tous les germes vivans avaient été tués. Le sang fut inoculé à des lapins : les lapins moururent. Et M. Paul Bert, ayant affirmé qu’il avait tué les germes, décida que les germes ne donnaient pas le charbon.

M. Pasteur, lorsqu’il s’attaqua à ce difficile problème, recourut de nouveau à cette méthode qui lui avait fourni la vraie théorie des fermentations et permis de démontrer l’erreur de Liebig, la méthode des cultures. On n’en a pas oublié les conditions : un liquide nutritif pur, c’est-à-dire privé de germes soit par la chaleur, soit par la filtration ; une trace de la substance contenant les germes à étudier, prise avec pureté, sans mélange d’autres germes, déposée dans le liquide de culture ; le tout contenu dans un petit matras, préalablement flambé, où l’air ne pénètre qu’à travers une carde de coton. Le liquide de culture choisi fut un bouillon fait de la chair des animaux les plus sujets à la maladie charbonneuse ; la semence, une goutte du sang d’un animal mort du charbon, puisée dans le cœur avec toutes les précautions que M. Pasteur avait employées naguère