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carbonique. C’est improprement qu’on parle de fabriquer la levure de bière : on devrait dire cultiver. Depuis les travaux de Schwann et de Cagniard de Latour, on sait que la levure est un être vivant. C’est une cellule isolée, un peu ovale, qui se reproduit avec une merveilleuse rapidité : sur l’enveloppe apparaît un bouton qui grossit à vue d’œil : c’est une seconde cellule bientôt détachée de la première. Quelques cellules, déposées dans un liquide légèrement acide, contenant du sucre et de l’albumine, donnent rapidement une ample récolte.

La levure de bière, que les hommes cultivent et se transmettent depuis de longs siècles comme le blé, n’est pas la seule levure connue. L’agent de destruction est toujours voisin de la substance dont il doit se nourrir : on trouvera toujours des globules de levure attachés aux branches et aux feuilles des plantes dans lesquelles le sucre se produit, par exemple aux feuilles et aux grappes de la vigne.

Comment agit la levure ? Les savans, qui cherchent à expliquer tous les phénomènes vitaux par la chimie et la mécanique, sont tout naturellement enclins, chaque fois que les corps se transforment, à chercher un réactif chimique qui puisse avoir provoqué la transformation. Or, aucune réaction connue, aucun artifice de laboratoire ne leur permettait d’imiter l’effet du ferment ; il a été impossible, jusqu’à présent, de tirer l’alcool du sucre sans la levure. Mais ce réactif chimique, M. Berthelot pensa que la levure pourrait peut-être le sécréter, de même que notre estomac sécrète cet autre réactif qui dissout nos alimens, le suc gastrique. Il y avait une difficulté. Il est aisé de se procurer le suc gastrique, de l’isoler, d’en séparer la pepsine, qui est la partie active ; mais M. Berthelot ne pouvait isoler le réactif, le ferment soluble qu’il croyait sécrété par la levure pour décomposer le sucre, et il était obligé de supposer que ce ferment se dépensait à mesure qu’il était produit. Ce n’était là qu’une hypothèse.

Au contraire, M. Pasteur a toujours soutenu que la décomposition du sucre était un phénomène corrélatif au développement, à la vie de la levure. Ce phénomène est beaucoup moins simple qu’on ne pourrait croire : avec l’alcool et l’acide carbonique, on voit apparaître de petites quantités d’acide succinique et de glycérine. Il n’est plus douteux aujourd’hui que le sucre est absorbé par la levure et que les nouveaux produits sont en quelque sorte des résidus de respiration et de digestion.

Le sucre a donné de l’alcool et de l’acide carbonique : c’est le premier résultat de sa fermentation, le premier pas exécuté en retour vers le monde minéral. L’alcool est déjà un de ces produits organiques simples, produits de combustion n’apparaissant dans l’être vivant que comme déchets et résidus de la vie et dont