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nait-on le vase, au bout de quinze jours, et aspirait-on par le tube effilé une goutte du contenu, elle retombait chargée de poussières, et le liquide, ensemencé par elle, était rapidement troublé et peuplé.

M. Pouchet essayait de répondre. Voici de l’eau bouillie, de l’oxygène qu’on vient de préparer en chauffant le chlorate de potasse, une petite botte de foin préalablement chauffée à 100 degrés dans une étuve ; le tout laissé dans une éprouvette sur la cuve à mercure. Au bout de quelques jours, une moisissure apparaît. — Vous oubliez le mercure, répond M. Pasteur ; des germes étaient déposés à la surface de la cuve, et ces germes se sont développés. — M. Bastian ne fut pas plus heureux : M. Pasteur lui prouva qu’il avait imparfaitement stérilisé tantôt ses vases, tantôt ses liquides de culture.

Aujourd’hui ce problème qui consiste à empêcher l’apparition d’êtres qui se reproduisent par milliers en quelques heures, et dont certains sont à peine visibles avec le microscope le plus puissant, est un problème résolu. Problème si difficile, exigeant de l’expérimentateur une si prodigieuse habileté à prévoir et à reconnaître les causes d’erreur qu’on avait presque renoncé à le résoudre, et que M. Biot et M. Dumas avaient conseillé à M. Pasteur de choisir un autre sujet d’études.

Quand M. Pasteur entreprit plus tard ses travaux sur les maladies, — maladies des vins ou des bières d’abord, puis maladies des animaux, — les faits qu’il avait établis à l’encontre de MM. Bastian et Pouchet lui revenaient souvent en mémoire : s’il n’avait pas débarrassé le terrain scientifique du préjugé des générations spontanées, toutes ses découvertes étaient impossibles. Que d’erreurs provenaient de ce préjugé ! Si la théorie des générations spontanées est vraie, c’est spontanément que la bière, le vin, le vinaigre deviendront plats, filans, tournés, visqueux, comme disent les experts. Il suffirait, comme on le pensait, du moindre changement de température, ou même d’un nuage orageux qui passe. Spontanément aussi, les animaux seraient pris du charbon ou de la fièvre typhoïde. Et il ne faudrait pas songer à se préserver de ces maux. Lorsqu’au contraire on a su considérer les liquides organiques, et même le corps des animaux, comme des terrains de culture où des germes se déposent et se développent, on a connu la cause du mal et on a pu espérer s’en garantir.


III.


M. Pasteur était parvenu à conserver indéfiniment, sans corruption, les liquides les plus facilement corruptibles : il possède des ballons de lait, de sang, d’urine, de moût de raisin, de bouillons