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sieurs, telles que l’urée, l’acide urique, l’acide fumarique, la créatine, qui n’ont aucun effet sur la lumière polarisée. — Mais ce ne sont pas là des substances élaborées par la synthèse vitale : ce sont des débris, des déchets excrétés après la combustion vitale. — Les matières primordiales : la cellulose, l’albumine, la fibrine, les fécules, font toujours dévier le rayon polarisé.

M. Pasteur ne se contentait pas d’avoir pénétré ces grandes lois et posé cette ligne de démarcation ; il voulait connaître les causes, et l’hypothèse à laquelle il s’arrêta peut compter parmi les plus vastes et les plus brillantes conceptions de la philosophie naturelle. « Souvent, dit son biographe, il a exprimé cette conviction que les forces moléculaires qui sont ou qui ont été mises en jeu dans la nature minérale, et qui le sont encore tous les jours dans les laboratoires, sont des forces d’une nature symétrique, tandis que les forces qui sont présentes et agissantes au moment des combinaisons de la vie végétale, quand la graine germe, quand l’œuf se développe, et primitivement, quand, sous l’influence du soleil, la matière verte des feuilles décompose l’acide carbonique de l’air, et utilise de cent façons diverses le carbone de cet acide, l’hydrogène de l’eau et l’oxygène de ces deux produits, sont d’ordre dissymétrique, et probablement sous la dépendance de quelques-uns des grands phénomènes cosmiques dissymétriques de notre univers. »

M. Pasteur lui-même disait un jour à l’Académie des Sciences :

« L’univers est un ensemble dissymétrique. Je suis porté à croire que la vie, telle qu’elle se manifeste à nous, doit être fonction de la dissymétrie de l’univers ou des conséquences qu’elle entraîne. L’univers est dissymétrique ; car on placerait devant une glace l’ensemble des corps qui composent le système solaire, se mouvant de leurs mouvemens propres, que l’on aurait dans la glace une image non superposable à la réalité. Le mouvement même de la lumière solaire est dissymétrique. Jamais un rayon lumineux ne frappe en ligne droite, et, au repos, la feuille où la vie végétale crée la matière organique. Le magnétisme terrestre, l’opposition qui existe entre les pôles boréal ou austral dans un aimant, celle que nous offrent les deux électricités positive et négative, ne sont que des résultats d’actions et de mouvemens dissymétriques. »

Nous sommes loin du paratartrate de soude et d’ammoniaque. Ces grandes vues inspirées par une expérience, et, si l’on peut ainsi dire, cette envolée vers l’infini feront connaître le caractère propre du génie de M. Pasteur. Ne le croyez jamais confiné dans son laboratoire et absorbé par l’expérience qu’il a sous les yeux : son esprit est véritablement en présence de la nature et se représente, dans toute leur étendue, les phénomènes cosmiques ou vitaux. De là vient la profondeur philosophique de ses conceptions. De là aussi,