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aux opinions les plus tranchées et aux thèses les plus outrées. Les conseils de la prudence sont taxés de lâcheté ou de faiblesse ; les hommes qui osent les donner s’offrent à la suspicion et aux calomnies de ceux mêmes dont ils servent la cause. Les prélats opposés à la définition n’échappèrent pas à cette loi commune. On leur fit voir que les haines religieuses et les rancunes théologiques ne sont ni les moins violentes, ni les moins soupçonneuses, ni les moins tenaces ; mais, pour la plupart d’entre eux, le chagrin le plus cuisant, ce fut de contrister le cœur d’un pontife qu’ils aimaient et vénéraient par-dessus tout, de paraître faire acte d’opposition à un père persécuté dont leur piété filiale eût voulu adoucir les amertumes. Toute leur conduite au concile devait se ressentir de ce qu’avait de douloureux et de pénible un pareil rôle[1]. Contraints de combattre un pouvoir qu’ils étaient les premiers à révérer, embarrassés dans leurs scrupules, paralysés par leur amoureuse dévotion au saint-siège, ils luttaient pour ainsi dire à genoux, se prosternant après chaque essai de résistance.

Une semblable opposition était d’avance condamnée à la timidité, aux reculs, aux hésitations, aux petites mesures, aux voies détournées, et conséquemment à la défaite. Quelque parti qu’elle prît, qu’elle luttât de pied ferme, offrant le combat aux adversaires, ou qu’elle évitât la bataille, se contentant de légères escarmouches, cherchant à gagner du temps et à retarder l’engagement final, elle était, non-seulement certaine d’être battue, mais assurée de voir ses procédés et ses motifs aussi durement appréciés de ses adversaires. Et, de fait, parmi les infaillibilistes comme parmi les incrédules, on lui a presque également reproché ses résistances et ses timidités, son indépendance et sa résignation.

Aucune tactique n’eût pu arrêter le triomphe des infaillibilistes. Une fois posée au concile, la question était sûre d’être tranchée dans le sens de l’affirmative. Après des siècles de lente élaboration et de patiente propagande, l’heure de la proclamation définitive de l’infaillibilité papale avait enfin sonné dans l’église. L’erreur des opposans fut d’avoir espéré l’empêcher, de s’être un instant fait illusion. A Trente déjà, trois siècles plus tôt, l’infaillibilité personnelle du pape aurait été érigée en dogme, à la face du protestantisme, sans l’opposition des gouvernemens. Depuis le dernier grand concile, depuis la révolution surtout, qui, en France et ailleurs, avait relâché les liens du pouvoir temporel et de l’aristocratie épiscopale, le prestige du siège apostolique et l’ascendant des doctrines romaines n’avaient fait que croître. Dans les pays comme la France qui avaient le plus longtemps répugné aux prétentions

  1. M. Dupanloup s’en ouvrait à Pie IX lui-même dans une lettre confidentielle.