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philosophes seraient d’accord avec les théologiens, et ce n’est peut-être pas le seul.

Pour qui veut aller au fond des choses sans se laisser rebuter par le jargon scolastique, on est surpris de découvrir que, loin d’être toujours spéciales à l’église ou de découler uniquement de ses dogmes, les condamnations prononcées par le Syllabus se retrouvent souvent dans les objections des moralistes, dans les réserves des philosophes ou des politiques, en face de certaines manières de comprendre la démocratie, la liberté, le progrès.

Sous la plume de l’évêque d’Orléans ou de l’archevêque de Paris, M. Darboy, — l’épiscopat, à la différence de la presse religieuse, était presque unanime à interpréter les actes pontificaux dans le sens le plus modéré, — les propositions en apparence les plus choquantes du Syllabus se résolvaient parfois en simples axiomes de morale, en une espèce de truismes d’une incontestable vérité. Ainsi, par exemple, le suffrage universel, salué en 1848 par M. Parisis et d’autres évêques comme une application pratique de l’égalité chrétienne[1], paraissait en 1864 au nombre des aberrations contemporaines anathématisées par le saint-siège. En remontant aux textes originaux, les interprètes mitres du Syllabus démontraient qu’il n’en était rien. Loin de toujours condamner le suffrage universel, le pape se bornait à rappeler que le nombre ne fait pas le droit ; que, pour savoir où est la vérité, il ne suffit pas de compter les voix, que la multitude elle-même n’a pas le droit de tout faire, en d’autres termes, que la force n’est pas le droit. Ainsi entendu, le Syllabus se trouvait converti en défenseur du sens commun, de l’éternelle morale et de la liberté elle-même contre les sophismes des courtisans de l’absolutisme populaire et les violences de la force brutale.

Comme pour l’encyclique Mirari vos de Grégoire XVI, dont l’encyclique Quanta cura et le Syllabus n’étaient guère qu’une reproduction grossissante, les deux points les plus malaisés à expliquer dans un sens conforme aux idées modernes, c’était ce qui concernait la liberté de la presse et la liberté des cultes. Pour la première, les glossateurs s’en tiraient en soutenant que Pie IX, de même que Grégoire XVI, n’avait condamné que la liberté illimitée, omnimodam libertatem, c’est-à-dire la licence effrénée, à laquelle l’intérêt public ou l’intérêt privé ont presque partout contraint de marquer une borne.

Quant à la liberté des cultes, à la liberté de conscience, le dissentiment entre ce que nous appelons les idées modernes et les

  1. Instruction pastorale de l’évêque de Langres pour les élections.