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III

Cette hérésie, dont la feuille ultramontaine dévoilait ainsi tardivement les fastes occultes, on s’était flatté de l’étouffer à jamais sous l’encyclique Quanta Cura et le Syllabus. On voyait dans ce dernier la bulle Unigenitus de ces nouveaux jansénistes, non moins dangereux et non moins haïs que les solitaires de Port-Royal, et l’on se réjouissait qu’un pareil coup leur vînt d’un pape qui les avait naguère encouragés de ses exemples, du pontife patriote et libéral dans lequel l’Italie et la France avaient salué « l’ange de la conciliation. » Le Syllabus éclata comme un coup de foudre en décembre 186â, quelques jours après la divulgation de la convention du 15 septembre, comme une réponse du Vatican à un arrangement qui disposait de lui sans lui.

Ce n’était cependant pas, ainsi que l’a écrit le père Curci[1], un document bâclé à la hâte ou un coup de tête de Pie IX. Chez le pape, revenu de ses premières illusions et leur gardant les rancunes d’un esprit déçu et d’un cœur blessé, c’était un projet déjà ancien. Dès 1862, lors de la canonisation des martyrs japonais, il avait confidentiellement fait consulter les évêques, rassemblés à Rome, sur un semblable catalogue d’erreurs ; le mot syllabus, on le sait, n’a pas d’autre sens. M. Dupanloup, qui ne pouvait être soupçonné de redouter de nouveaux combats, avait averti le cardinal Antonelli de l’orage que ne manquerait pas de soulever une pareille publication[2]. Ce premier Syllabus, emprunté, paraît-il, presque mot pour mot, au mandement d’un évêque français, fut mis de côté ; mais, sous le règne de Pie IX, la Prudence, dont la figure allégorique décore tant de salles du palais apostolique, avait perdu au Vatican une bonne part de son vieil empire. Un nouveau Syllabus, cette fois extrait des actes mêmes du pontificat de Pie IX, parut à l’improviste, et de toutes parts, dans la presse comme dans les chancelleries, cette sorte de manuel des erreurs contemporaines ou de code des anathèmes fut accueilli comme une

  1. Il Vaticano Regio tarlo superstite della Chiesa, 1884.
  2. L’abbé Lagrange, Vie de Mgr Dupanloup, t. II.