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que de libéralisme, triple note infamante, que, tout en se déclarant captif de l’orthodoxie, Montalembert, vieilli, réclamait avec une fierté triste[1]. Au lieu d’attribuer toutes les victoires du christianisme à l’intervention directe du ciel et à des prodiges surnaturels, un écrivain avait-il l’audace de découvrir dans les grandes révolutions religieuses la trace des lentes influences historiques et de l’enchaînement naturel des faits, on lui jetait à la face le nom barbare de « naturiste. » Tel fut, par exemple, le reproche encouru par le prince Albert de Broglie, quand il préludait à ses belles études sur l’histoire moderne par ses curieuses recherches sur l’église et l’empire romain au IVe siècle. Il est vrai que la critique de cette étroite et jalouse orthodoxie s’en prenait également aux morts, à commencer par les gloires les plus solides de l’église de France, de Bossuet aux bénédictins de Saint-Maur. On eût dit que, non contens de proclamer l’antagonisme de la religion et de la liberté, ces singuliers défenseurs du catholicisme eussent voulu persuader le siècle de l’incompatibilité de la foi et de la science, de l’orthodoxie et de l’histoire.

Mais le grand crime, le grand grief pour les doctrinaires du double absolutisme, l’hérésie contenant en germe toutes les autres, c’était toujours le libéralisme, à la fois fils et père de « l’indifférentisme. » Dénaturant les idées les plus connues des catholiques demeurés fidèles à la liberté, l’Univers devait finir par les convaincre d’avoir secrètement formé dans les ténèbres une secte nouvelle. La fameuse formule que Montalembert eut le regret de se voir dérober par Cavour : « L’église libre dans l’état libre, » fut présentée comme la devise ou le mot d’ordre de la secte, et interprétée dans un sens manifestement étranger à Montalembert et à ses amis, comme si elle comportait la séparation de l’église et de l’état on la subordination de l’église au pouvoir civil. Une inscription commémorative, placée par Montalembert dans la chapelle de son château de La Roche-en-Brénil, devait, au plus fort des malheurs de la France, entre le siège de Paris et la commune, être dénoncée comme le manifeste de cette secte et le témoin révélateur des « mystères » célébrés par Montalembert et ses amis, MM. de Falloux, de Broglie, Cochin, sous les auspices de M. Dupanloup[2]

  1. Montalembert, Introduction des Moines d’Occident.
  2. Voyez l’Univers du 8 mars 1871 et le Correspondant du 25 mai 1874. La formule de Montalembert avait de son vivant même été l’objet de tels commentaires qu’il lui avait fallu l’interpréter, et finalement l’amender, si ce n’est l’abandonner. À : « L’église libre dans l’état libre » il substitua : « L’église libre dans la nation » ou « la patrie libre, » afin d’enlever tout prétexte à ceux qui lui reprochaient de vouloir mettre l’église dans l’état. L’inscription de marbre de la Roche-en-Brénil, dont l’Univers fit tant de bruit, porte déjà : Ecclesia libera in libera patria. La soupçonneuse orthodoxie de la feuille ultramontaine n’en vit pas moins une hérésie dans la préposition in, dans, si bien qu’à la fin Montalembert et ses amis se contentèrent de dire : « L’église libre et la patrie libre. » On voit jusqu’à quelles arguties descendaient ces polémiques. Ce qu’il y a de curieux, c’est que l’inscription de la Roche-en-Brénil fut en 1871 opposée par certains catholiques à M. Cochin, et que, de nouveau, en 1874, elle fut l’occasion de virulentes attaques contre le duc de Broglie et le ministère qu’il présidait.