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Une fois notre promenade achevée, il nous devient aisé de résoudre le problème que nous nous posions tout à l’heure. Assurément, ce ne sont pas les ruines d’une ville que nous venons de visiter. Une ville, surtout quand elle est ancienne, comme Laurente, contient des monumens d’époques diverses ; de plus, il faut qu’on y trouve les habitations des pauvres à côté de celles des riches, Ici, tout paraît être du même temps ; ce qui domine presque partout, ce sont les constructions de brique du siècle des Antonins, et ces débris, tout mutilés qu’ils sont, conservent encore un air de puissance et de grandeur qui ne permet pas de croire que c’étaient des masures de pauvres gens. Nous avons donc devant les yeux la demeure d’un riche, probablement le palais d’un prince. Poussons plus loin nos conjectures et cherchons à connaître quel est l’empereur qui a pu faire ici sa résidence : il n’est pas difficile de le savoir. En 189, Rome fut ravagée par une peste qui causa aux habitans des frayeurs terribles. « On ne rencontrait plus, dit Hérodien, que des gens qui se remplissaient les narines et les oreilles des senteurs les plus fortes, ou qui brûlaient sans cesse des parfums. Les médecins prétendaient que ces senteurs, occupant les passages, empêchaient le mauvais air de pénétrer, que leur force neutralisait la sienne et arrêtait son effet. » Ces remèdes, on le comprend, étaient assez inutiles, et, comme ils n’empêchaient pas les gens de mourir, l’empereur Commode, qui était aussi lâche que cruel, chercha un moyen plus efficace de se soustraire au fléau : il quitta Rome. Ses médecins, parmi lesquels se trouvait peut-être Galien, lui conseillèrent de se réfugier à Laurente. La raison qu’ils avaient pour lui recommander cette ville, c’est « qu’elle était bâtie dans un pays très frais et entourée de bois de lauriers qui lui avaient donné le nom qu’elle portait. » Ils attribuaient sans doute au laurier quelques-unes des qualités que nous accordons à l’eucalyptus. Ce n’est certainement pas à la ville même de Laurente que l’empereur vint demander un asile ; il possédait probablement dans le pays quelque maison de campagne qu’il avait fait construire ou embellir et il vint y passer tout le temps que dura la maladie. Rien n’empêche donc de supposer que les grands murs de Tor-Paterno sont ce qui nous reste de la villa de Commode[1].

Mais le problème n’est pas encore tout à fait résolu. En supposant, ce qui me semble certain, que les ruines que nous venons de visiter soient celles d’un palais et non d’une ville, on peut admettre

  1. Gell, dans sa Topography of Rome, fait remarquer certaines analogies de construction entre les ruines de Tor-Paterno et celles qui se trouvent sur la voie Appienne et auxquelles on donne le nom de Roma vecchia. Ces dernières appartiennent à une villa que Commode a possédée et qu’il a fait réparer. L’architecture des deux édifices lui parait être du même temps.