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l’avait apporté en dot à Charles II. Les nouveaux occupans se fortifièrent, améliorèrent le port, construisirent un môle. Toutefois ils avaient tant d’ennuis avec les indigènes, qu’en 1684, après vingt-trois ans de possession, ils se résolurent à quitter la place, mais en se promettant que personne autre ne s’y installerait. En 1860, l’Angleterre vit avec terreur les Espagnols envahir le Maroc ; elle tremblait que l’idée ne leur vînt d’y rester. Elle s’empressa d’offrir des capitaux au vaincu pour lui faciliter le paiement de l’indemnité de guerre et pour hâter l’évacuation de Tétouan.

L’Angleterre n’entend pas qu’une puissance européenne élève sur la côte marocaine un contre-Gibraltar, que les canons de Tanger puissent fermer à ses vaisseaux la route de Suez et des Indes. Au surplus, elle trouve de sérieux bénéfices dans le maintien du statu quo. Elle fait de bonnes affaires avec le Maroc ; elle y accapare les deux tiers du commerce d’importation et d’exportation. Aussi la politique qu’elle y défend est une politique de conservation à outrance. Elle veille à ce que le sultan ne fasse pas de mauvaises connaissances, ne contracte de dangereuses liaisons avec qui que ce soit. On l’accuse même de décourager les réformateurs et les réformes ; on se plaint que c’est grâce à elle qu’il se vend encore des esclaves à Tanger, sous les yeux des représentans de l’Europe. Son ministre plénipotentiaire, sir John Drummond Hay, est fort bien vu du maître de la maison. Il est devenu l’un des rouages les plus importans de l’administration de l’empiré. Comme l’écrivait l’un de ses compatriotes : Sir John is part and parcel of the machine at the court of the Emperor. On le tient pour un ami fidèle, pour un excellent conseiller, pour un bon gendarme, qui garde la porte, qui la ferme aux aventuriers et aux aventures. On pourrait le considérer aussi comme un médecin qui s’applique consciencieusement à faire durer son vieux cacochyme de malade, non qu’il lui veuille beaucoup de bien, mais par antipathie pour les héritiers et dans l’espérance de reculer longtemps encore l’ouverture de la succession. Qu’importent les motifs ? Un malade a toujours du goût pour un docteur dont les ordonnances l’aident à prolonger sa vie.

Les Espagnols ne sont pas seulement les très proches voisins du Maroc, ils y possèdent des établissemens. Ceuta leur appartient depuis 1580, et en 1860 il ne tenait qu’à eux de conquérir Tanger après Tétouan. Ils se contentèrent d’exiger une indemnité de cent millions de francs, dont il leur reste dix millions à toucher. Les Marocains durent affecter au paiement de leur dette la moitié du produit de leurs douanes. A chaque échéance, l’Espagne vient encaisser son argent qu’elle emporte dans un bâtiment de guerre. L’an dernier, elle a occupé sur l’Atlantique le port de Santa-Cruz de Marpequeña, qui lui avait été cédé par le même traité de paix. En 1878, une commission