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transformation qui ne dure pas moins de quatre années. La fermentation alcoolique terminée, on procède à l’unification du vin, opération qui a pour objet d’obtenir un vin toujours semblable à lui-même et conforme au type connu du commerce, quelle que soit d’ailleurs la qualité de la récolte. Elle se fait, soit par l’addition d’alcool ou de sucre, soit par le mélange des produits de différentes années, et permet, suivant les proportions employées, d’obtenir des types variés comme le madère, le marsala, le porto.

Bien que les vins de Syracuse, qui sont généralement récoltés dans la plaine de Catane, soient connus depuis longtemps, c’est aujourd’hui Marsala qui est le centre principal de la production vinicole de la Sicile. Cette ville d’origine arabe (Mars-el-Allah, havre de Dieu) n’a pas moins de 43,000 habitans et tire toute son importance de la fabrication et du commerce des vins. Les principales maisons qui s’y livrent sont la maison Woodhouse, la maison Ingham Whitaker et Cie, et la maison Florio, dont la Settimana commerciale a récemment fait connaître l’origine et le développement.

Fils d’un négociant de Liverpool, John Woodhouse s’était rendu à Marsala en 1773 pour y acheter de la soude. Trouvant la campagne plantée en vignes et se rendant compte des qualités que le vin pourrait acquérir s’il était bien fabriqué, il s’y établit pour en faire le commerce. Dès l’année suivante, il expédia en Angleterre, du port de Trapani, 60 tonneaux de vin, dans chacun desquels il ajouta 2 gallons d’alcool pour lui permettre de supporter une navigation qui durait alors de trente à quarante jours. Il allait chercher lui-même avec une bête de somme les raisins dans les vignes du voisinage et les transportait au couvent de Saint-François-de-Paule, où il avait établi le centre de sa fabrication. Il s’attacha à reproduire le type du madère, et acquit en peu de temps une assez grande réputation, qu’il dut en partie aux fournitures qu’il fit à l’escadre de Nelson ; aussi fut-il obligé d’étendre son commerce et d’aller jusqu’à Mazzara, Castelvetrano et Castellamare pour acheter ses vins, qu’il transportait sur une barque appelée Elisabeth ; ce fut son premier bâtiment, et il refusa de la démolir quand elle fut hors de service. Il associa ses frères à son entreprise et augmenta successivement son établissement ; il en fonda un autre à Malte, construisit des pressoirs dans les divers vignobles pour transporter en moût les vendanges qu’il achetait et établit à Tonnera une fabrique de savons alimentée par l’huile des olives récoltées dans le voisinage.

Woodhouse fut donc le créateur de l’industrie vinicole à Marsala, qui lui en garde une profonde reconnaissance. Il acquit rapidement une fortune assez grande pour pouvoir, en 1814, prêter au gouvernement l’argent nécessaire à retirer de la circulation toute la fausse