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ressources, encore peu exploitées, sont en état d’assurer la richesse et le bien-être à toute la population.


III

Le climat de la Sicile est maritime et a la même régularité que celui de Madère. L’année s’y divise en deux saisons principales, celle des pluies, de novembre à mars, et celle des sécheresses, de juin à août : les autres mois sont variables et orageux. La température ne descend que très rarement au-dessous de zéro, et pendant quelques jours seulement, avant le lever du soleil ; elle ne s’élève jamais très haut, grâce à la brise de mer, qui corrige les effets de la latitude ; elle est en moyenne de 11 degrés pendant l’hiver et de 26 degrés pendant l’été, et ne présente pas de brusques variations. Sur certains points du littoral, exposés à la malaria, les habitans sont obligés de se réfugier dans la montagne pour se mettre à l’abri des fièvres qui en sont la conséquence. La Sicile est apte à la culture des régions tempérées de l’Europe, aussi bien qu’à celles des régions chaudes. Toutes les plantes comprises entre les limites déterminées par le blé et par l’oranger y prospèrent également. D’où vient donc que, malgré des conditions aussi favorables, malgré un sol fertile et malgré le labeur de ses habitans, cette île soit encore, dans la plus grande partie de son étendue, inculte ou mal cultivée ? C’est parce que jusqu’ici les Siciliens ont toujours travaillé pour d’autres que pour eux-mêmes. Il en était déjà ainsi du temps des Romains, qui les pressuraient ; il en sera de même tant que les lois sur la constitution de la propriété n’auront pas produit tout leur effet.

Au moment de la conquête normande, toutes les terres furent confisquées par les vainqueurs et partagées entre le roi, les nobles et l’église ; mais, comme ni les uns ni les autres ne pouvaient les mettre en valeur, ils les cédèrent en grande partie aux paysans par baux emphytéotiques. L’emphytéose était, on le sait, un contrat féodal par lequel les propriétaires du sol abandonnaient aux cultivateurs le domaine utile en conservant pour eux-mêmes le domaine éminent, signe de leur puissance et de leur autorité, dont la constatation était représentée par un cens annuel. Les seigneurs préférèrent l’emphytéose perpétuelle à la location précaire, afin de peupler leurs domaines, et, comme les emphytéotes ne pouvaient ni racheter leur cens, ni céder leur droit sans leur consentement, ils rentraient en possession du fonds en cas de non-paiement de la redevance.

Les évêques et les établissemens religieux, qui se trouvaient à peu près dans les même conditions que les barons féodaux, agirent de même et cédèrent leurs biens moyennant un cens très faible